Professeur de lettres, Marie Quartier est licenciée de psychologie et membre du comité national d’experts créé par le ministre de l’Éducation nationale pour lutter contre le harcèlement scolaire. Elle a fondé l’association Orfeee qui se consacre à l’étude et au traitement des souffrances scolaires.
Vous êtes les auteurs du livre Les blessures de l’école. Pourquoi un tel sujet ?
Jean-Pierre Bellon : Aujourd’hui, l’école est trop souvent un lieu de blessures pour l’élève persécuté par ses camarades ou humilié par un professeur, pour l’enfant victime de sexting ou pour le professeur chahuté. Tous souffrent côte à côte sans pouvoir s’aider les uns les autres… Et lorsqu’un groupe entier s’en prend à une victime potentielle, cela peut enclencher des violences difficiles à interrompre.
Marie Quartier : Les adultes ne sont pas suffisamment alertés par ce qu’il se passe, ne le voient pas ou le minimisent. Ils font des choses qui ne fonctionnent pas, s’en rendent compte et lâchent prise. Ceci génère une forme d’impuissance voire d’indifférence ou d’agacement des adultes, qui est dramatique. L’enfant victime, qui souffre durant des mois voire des années, se retrouve piégé dans un contexte où il est maltraité de partout. Aujourd’hui encore, il y a des mauvaises manières de réagir de la part de tous, à un phénomène pourtant très banal. C’est pourquoi nous avons souhaité donner, avant tout, aux adultes les bons réflexes pour qu’ils cessent d’aggraver ces situations et, au contraire, qu’ils se saisissent des moyens utiles pour limiter les problèmes de harcèlement à l’école.
Quelles sont les différentes formes de harcèlement qui existent à l’école ?
J-P.B. : Le harcèlement est très souple, il s’adapte à tous les contextes. Il peut aller de la simple moquerie au surnom en passant par des jets d’objets ou des mises à l’écart. Le tout répété de façon régulière, souvent sur une longue période et accompagné d’un effet de masse. Il est rarissime que le harcèlement soit binaire. En général, l’intimidation ou le harcèlement scolaire surgissent beaucoup plus facilement dans une classe qui dysfonctionne.
M.Q. : Même lorsqu’on a l’impression que le harcèlement est binaire, en réalité, il ne l’est pas. La victime et l’agresseur sont très souvent pris dans un contexte de groupe. Ce groupe est à minima spectateur de la situation. Et le simple fait qu’un groupe soit spectateur, sans agir, suffit pour donner à la victime le sentiment qu’il y ait une forme de complaisance ou de consentement de tous. Si la victime n’a pas un point d’appui sur lequel s’accrocher, elle ne pourra pas faire face à la situation. Ce point d’appui, ce sont les adultes qui doivent l’incarner. Mais malheureusement, ce n’est souvent pas le cas…
Dans votre livre, vous dites proposer une nouvelle approche pour lutter contre le harcèlement scolaire. En quoi consiste-t-elle concrètement ?
M.Q. : Depuis trois ans, nous proposons une manière d’intervenir pour les professionnels au sein des établissements scolaires. Nous avons mis en place un protocole qui permet aux professionnels de se former et d’être compétents en interne pour traiter les situations liées au harcèlement scolaire dès qu’elles apparaissent et le plus tôt possible. Ce protocole a été retenu par le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer. Nous développons notre approche dans 6 académies pilotes, et avons commencé par l’académie de Versailles, avant une généralisation à l’ensemble des établissements scolaires. Notre livre « Les blessures de l’école » présente ce protocole complet dans lequel les élèves sont accompagnés par les adultes de l’institution.
J-P.B : Notre méthode consiste à établir une équipe « anti-harcèlement » au sein de l’établissement, composée d’enseignants, de personnels de vie scolaire et de personnels de santé. Cette équipe varie de 4 à 10 personnes et doit être capable de prendre en charge les problèmes de harcèlement scolaire. Elle doit d’une part soutenir la victime, l’accompagner et lui apporter un soutien sans faille, à elle et à sa famille. Et, d’autre part, faire participer les intimidateurs à la résolution du problème. L’idée est de travailler avec les harceleurs de façon à les amener, par le biais d’entretiens répétés, à trouver des solutions aux problèmes qu’ils ont créés. Le but est ainsi de les associer au règlement du conflit.
L’objectif est qu’il y ait à terme une équipe « anti-harcèlement » dans chaque établissement scolaire.
De quelle manière formez-vous les personnels ?
J-P.B : Concrètement, ce sont huit journées étalées sur l’année. En novembre, nous commençons d’abord par présenter la méthode et les différentes étapes. Nous faisons des bilans de situations et travaillons sur des études de cas. Au total, 240 personnes, issues du premier et du second degré, ont participé à cette première journée.
Les équipes ont ensuite traité les situations de harcèlement scolaire dans leur propre établissement et nous ont fait un retour par visioconférence. On a pu apprendre comment ils appliquaient la méthode enseignée et quelles étaient leurs principales difficultés. C’est un travail suivi tout au long de l’année : nous réalisons des points avec les équipes éducatives en novembre, en mars et en juillet.
M.Q. : Parallèlement, nous pouvons aussi intervenir directement dans les établissements scolaires, en France ou à l’étranger dans les pays francophones. C’est très intéressant : on y retourne deux à trois fois pour les accompagner et voir comment les équipes travaillent.
Avez-vous constaté une diminution du harcèlement scolaire dans les établissements ayant adopté votre méthode ?
J-P.B : Une diminution, je ne sais pas, mais maintenant les situations liées au harcèlement scolaire sont traitées. Faire disparaître le harcèlement est une perspective inenvisageable ! Car dès l’instant qu’il y a un groupe, il y a un risque. Dans l’académie de Versailles, une enquête a été réalisée dans les établissements scolaires : le taux d’élucidation des situations de harcèlement scolaire, mesuré par le nombre de situations traitées et le nombre de situations résolues, est de 82%. C’est loin d’être négligeable !
M.Q. : Il faut préciser aussi que notre méthode n’est utile que lorsqu’il s’agit de l’intimidation entre élèves. C’est assez anodin, mais l’intimidation fait beaucoup souffrir les élèves si elle est répétée et massive. C’est sur ce phénomène que porte le travail de notre méthode et non sur des actes plus violents, tels que le racket ou les coups, qui nécessitent des sanctions. Il faut bien faire la différence.
Les blessures de l’école
Harcèlement, chahut, sexting : prévenir et traiter les situations
Paru en février 2020
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