Tuyêt Trâm Dang Ngoc est enseignante chercheuse en sciences informatiques à CY Cergy Paris Université.
Pouvez-vous expliquer ce qu’est la gamification de l’enseignement ?
Chez les joueurs, il existe plusieurs types de motivations. Il y a ce que l’on appelle les motivations extrinsèques : les points, le classement, en font partie. Et puis il y a tout ce qui est motivation intrinsèque : ils continuent parce qu’ils ont l’impression de devenir meilleur, ou parce que ça fait sens pour eux. Et la motivation intrinsèque est souvent plus puissante que la motivation extrinsèque.
Les joueurs ne vont pas rester longtemps sur un jeu dont le but est seulement de gagner plus de points ou de pièces. Par contre, ils vont revenir plus souvent sur un jeu qui leur donne l’impression de devenir plus compétent, de progresser, comme les échecs. Ou encore sur un jeu en équipe, car le côté social est très fort dans la motivation.
L’auteur Yu Kai-Chou a théorisé cela, suivant un modèle qu’il a appelé l’octalysis. Dans ce modèle, il a listé tous les types de motivations existantes, 8 exactement. Parmi lesquelles des motivations extrinsèques (points, peur de perdre son classement…) et des motivations intrinsèques (sentiment de progression, curiosité…)
Si on considère l’enseignement comme un jeu dans lequel il faut activer des motivations, on s’aperçoit que souvent, dans l’enseignement classique, on n’utilise qu’un seul des axes de l’octalysis qui est la motivation liée aux points ou aux notes. Parfois aussi celui de la perte, c’est-à-dire de la sanction, de la croix ou du mot dans le carnet de correspondance.
Par contre, les motivations intrinsèques ne sont pas souvent activées : le sens, le travail en équipes, le sentiment de compétence.
C’est pour cela que nous avons proposé, avec Caroline Pers, ingénieur pédagogique, un atelier au CLIC, pour faire découvrir aux enseignants le principe de l’octalysis.
En quoi consistait cet atelier ?
L’atelier s’est déroulé en ligne sur Zoom. Les participants étaient en équipes, et devaient construire une activité pédagogique pluridisciplinaire. Pour cela, nous proposions à chaque équipe deux chapitres de disciplines différentes, par exemple géologie et reproduction humaine, ou équations et comptabilité, etc. Chacune tirait ensuite deux cartes : l’une avec un nom d’objet plus ou moins incongru : chaussette, poireau, bicyclette…. Et l’autre avec une mécanique de jeu : stratégie, hasard, bluff… Ils devaient ensuite, en équipe, construire une activité pédagogique qui faisait intervenir les deux disciplines attribuées, les objets et la mécanique de jeu. Et pour gagner des points, il fallait évidemment activer le maximum d’axes de l’octalysis.
Il se trouve en effet que, paradoxalement, plus les contraintes à la création sont importantes, plus on est créatif. Lorsque l’on part d’une page blanche, on n’est pas très créatif, car on revient forcément sur des schémas qui sont connus. Et là, en 20 minutes, à partir d’une chaussette et d’une bicyclette, les enseignants ont réussi à créer un jeu basé sur le bluff qui faisait intervenir les équations et la comptabilité, un jeu pertinent en plus !
Personnellement, appliquez-vous ce concept de gamification avec vos étudiants ?
Oui sur certains aspects. Par exemple, je mets en place quasiment systématiquement du travail collaboratif. J’essaye également que les étudiants trouvent du sens en les faisant aller plus loin dans leurs réflexions, en faisant des parallèles avec la vie courante, et en cherchant à déclencher chez eux cette curiosité scientifique. Pour qu’ils aient le sentiment d’augmenter régulièrement leurs compétences, je fais aussi des méta évaluations. Avec un questionnaire, je laisse un temps, lors de chacun de mes cours, pour que les étudiants réfléchissent à ce qu’ils ont appris. Ce temps peut-être guidé, en affichant au tableau les objectifs d’apprentissage du cours. En faisant cet exercice, ils prennent conscience qu’ils ont appris quelque chose.
Que conseilleriez-vous à un enseignant qui veut commencer à gamifier ses cours?
Je lui conseillerais de jouer sur les motivations extrinsèques et intrinsèques. Les motivations extrinsèques ne sont pas toutes à jeter ! Il faut parfois des motivations extrinsèques pour faire entrer l’étudiant dans l’activité, et ensuite, essayer d’activer le plus possible la motivation intrinsèque. Et pour chaque type de motivation à activer, il existe de nombreux outils pédagogiques dans lesquels piocher !
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