Vous avez été reçu lundi 14 juin par Jean-Michel Blanquer qui a annoncé intégrer vos propositions dans « un ambitieux plan de formation initiale et continue » en matière de laïcité. Satisfait ?
Oui et je le suis d’autant plus que le ministre a décidé de retenir toutes mes propositions. Il n’a émis aucune réserve par rapport aux analyses et aux propositions de mon rapport. Il a demandé au responsable du ministère de « les mettre en œuvre dans leur plénitude ». Je ne m’attendais pas à un tel accueil. Pas une virgule n’a été changée. C’est une grande satisfaction de rencontrer un ministre courageux, qui me fait confiance et adhère à mes propositions.
Comment les personnels vont-ils être formés ?
Il s’agira de formations d’initiatives locales (FIL) destinées aux personnels des écoles, collèges et lycées. Un référent laïcité sera nommé dans chacun de ces établissements et discutera avec les formateurs pour fixer les dates, les modalités de leur venue, la stratégie de formation… Ça doit déboucher sur une production tournée vers les élèves qui doit être votée par le conseil d’administration et le conseil d’école comme un complément du projet d’établissement.
Le plan va s’étendre sur quatre ans, de quelle manière ?
Il y aura autant de formations que d’écoles, de collèges et de lycées ce qui représente dans une académie moyenne 43 collèges et lycées par académie et par an et dans un département moyen 111 écoles mais 50 seulement de plus de 4 classes par département et par an. Cela ne paraît pas insurmontable. Sur quatre ans, tous les établissements doivent y passer mais la programmation dépend du recteur, de l’inspecteur d’académie. Chacun peut avoir une stratégie là-dessus. Certains départements et académies vont attendre que les formateurs et ceux qu’ils vont envoyer à Paris pour la formation soient formés, d’autres, qui ont déjà suffisamment de ressources, pourront commencer dès la rentrée.
Un référentiel et deux ouvrages devraient également guider la communauté éducative…
Oui, le référentiel figure dans le projet de loi qui va sans doute être promulgué au cours de l’été. Les deux administrations centrales, Enseignement supérieur et Education nationale, ont bien avancé, le texte est prêt. Il définit une quantité d’heures de formation, des entrées en termes de compétences à acquérir et de contenus à suivre pour les étudiants d’Inspé.
Quant aux deux ouvrages, il s’agit de « L’idée républicaine » qui est une mise à jour de l’ancien guide républicain. C’est un recueil de textes mis au point par le conseil des sages de la laïcité. L’inspection générale a rédigé « La République à l’école » qui contient des outils pédagogiques dans chaque discipline pour répondre au manque de formation des élèves, aux confusions et aux atteintes à la laïcité.
Vous n’aviez pas eu la même écoute en 2004 quand vous aviez remis à François Fillon, alors ministre de l’Education nationale, votre rapport sur « Les signes et manifestations d’appartenance religieuse dans les établissements scolaires ». Comment l’expliquez-vous ?
C’est le moins que l’on puisse dire… L’analyse n’est pas nouvelle. Le rapport de 2004 était réalisé dans la perspective de tirer la sonnette d’alarme. Il y avait eu des échanges avec le cabinet du ministre à trois reprises mais il nous avait dit qu’il n’était pas question de publier le rapport en raison de la mise en œuvre de la loi sur le port du voile dans les établissements scolaires, l’enlèvement de nos otages à Bagdad et ensuite la mise au point d’une loi d’orientation et de programmation pour l’Education nationale. Là c’est différent, avec ce nouveau rapport, il y a une trentaine de propositions concrètes qui vont être mises en place.
Est-ce que ces mesures seront suffisantes ou n’est-ce qu’un premier pas ?
C’est un départ. Il s’agit de mettre en place un nouveau dispositif amené à se développer et se pérenniser. C’est un problème très complexe et je ne vais pas dire « grâce à mon plan tout est réglé ». On n’est pas du tout dans cette perspective mais dans celle de démarrer quelque chose autour de la formation, des compétences des professeurs. Il y a quelques années, on a introduit dans le code de l’éducation un premier article disant que la mission première de l’école était de faire partager aux élèves les valeurs de la République. Une phrase magnifique mais on n’a pas précisé quelles étaient ces valeurs. Il n’y a pas de miracle. Il ne suffit pas de donner une orientation abstraite pour qu’elle soit suivie d’effet. Maintenant, on met en place un dispositif qui va permettre aux enseignants de répondre à cette exigence progressivement. Mais on ne va pas vaincre le fanatisme comme ça grâce à un plan de formation, il faut être réaliste.
Quelles étaient les attentes des enseignants et chefs d’établissement ?
J’en parle précisément dans l’introduction de mon rapport en disant que trois demandes principales se sont fait jour, d’abord de la cohérence : entendre de leurs responsables et de leurs formateurs des visions identiques, simples, claires, de la laïcité et des valeurs de la République. Ensuite, un soutien didactique et pédagogique concret : disposer de supports de cours adaptés pour mieux transmettre ces valeurs à leurs élèves. Enfin, une solidarité effective : recevoir de leur hiérarchie un soutien net et clair pour les aider à affronter et à traiter les comportements les plus problématiques de certains élèves et de leurs parents. Le plan d’action va prendre en compte ces trois aspects.
Que vous ont dit les enseignants et conseillers principaux d’éducation rencontrés pour rédiger votre rapport ?
Les enseignants ont souvent peur et ne disent rien. J’écris ceci « sur le terrain, pendant ce temps, le désarroi domine. Un désarroi le plus souvent feutré, rentré qui s’exprime rarement par des déclarations passionnées ou de la colère. Il faut écouter en particulier ces directeurs d’école et ces chefs d’établissement parler de la blessure encore ouverte que constitue toujours pour les enseignants l’assassinat de leur collègue Samuel Paty, de leur peur aujourd’hui face à certains de leurs élèves, de leurs parents, de leur souffrance intime qui naît de leur honte d’avoir peur et d’avoir parfois renoncé à réagir à certains propos ou à enseigner une partie de leur programme ». C’est quelque chose de profond qui s’exprime tout d’abord par un renfermement puisque dans un sondage on peut voir qu’un enseignant sur deux interrogé déclare s’être déjà autocensuré mais personne dans une école ou un établissement ne proclame qu’il s’autocensure. D’où la souffrance dont parlent ces chefs d’établissement.
Quel va être votre rôle jusqu’à la fin de l’année ?
Le ministre me demande d’assurer le suivi du début de la mise en œuvre de ce plan. J’aurai un rôle d’observateur pour lui dire ce qui a été mis en place, les éventuelles difficultés, ce qu’il faudrait peut-être améliorer… Je lui rendrai, à cet effet, un second rapport en décembre prochain.
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