Cette année, pour la première fois, deux professeures françaises figurent dans le prestigieux top 50 du Global Teacher Prize, l’équivalent du prix Nobel de l’enseignement. Initié par la Fondation Varkey en 2014, ce prix d’un million de dollars récompense chaque année « un professeur qui a apporté une contribution exceptionnelle à la profession » et qui a un impact positif sur ses élèves et la communauté qui l’entoure. Les deux professeures françaises, Gaëlle Assoune et Juline Anquetin Rault, se sont distinguées parmi 8000 candidats issus de 121 pays. Pour candidater, chacune a dû fournir un dossier complet présentant son travail, des recommandations d’autres professionnels, passer un entretien vidéo…
L’empathie comme vecteur de réussite
Le travail de Gaëlle Assoune, professeure de français dans un collège Rep+ à Nice, s’articule autour de la manière dont l’empathie peut se développer en classe et dans la société pour favoriser le bien-être des enfants et donc leur réussite. Pour y parvenir, elle mise sur les neurosciences affectives et sociales. Elle a, par exemple, conçu un livret d’objectifs (téléchargeable gratuitement sur son site) pour aider le jeune à travailler sur un aspect socio-émotionnel de son comportement qui peut poser problème (apprendre à gérer sa colère, à être patient, à ne pas répondre…). On y trouve aussi des stratégies attentionnelles pour y parvenir. « Au lieu de lui donner une punition, on rencontre les parents pour leur remettre ce livret. L’objectif pour l’élève, c’est de comprendre quelque chose sur lui-même et de travailler pour s’améliorer. Grâce aux stratégies attentionnelles fournies, s’il s’énerve, il apprend qu’il peut masser son ventre dans le sens des aiguilles d’une montre. Pour se recentrer en cours, avec l’accord des profs, il peut colorier un mandala… », explique la professeure. Les progrès de l’élève sont validés dans son cahier grâce à des cartes forces et les adultes tout comme l’élève peuvent y mettre des mots agréables.
Dans le cours de français de Gaëlle Assoune, tous les supports (texte, pub, vidéo, peinture…) se prêtent à l’analyse d’œuvre. Elle a inventé une méthode qu’elle nomme « l’enquête du sens », basée sur la démarche d’investigation scientifique. Un moyen de commencer en douceur l’argumentation et d’aiguiser leur sens de l’analyse pour être fin prêts en 3ème. « Je me suis rendu compte que même si l’on avait la meilleure pédagogie et la meilleure séquence possible, ce qui comptait vraiment c’était de donner envie, de permettre aux élèves d’exercer leur esprit critique. C’est important que ça vienne d’eux », déclare-t-elle. Pour favoriser la lecture, elle s’appuie par exemple sur des outils numériques comme Lalilo, Tacit… Et là encore, la famille est partie prenante et contrôle que l’élève s’est bien connecté. L’important, selon elle, est de pouvoir organiser la classe pour favoriser l’autonomie d’un côté et de l’autre l’accompagnement personnalisé de l’élève.
Agir au-delà de la classe
Pour élargir son champ d’action et aider au mieux les élèves et leur famille, Gaëlle Assoune a créé l’association BE-N-Joy. Cela lui permet d’interagir avec les acteurs jouant un rôle dans la politique de la ville. Son association propose ainsi des ateliers de philosophie, d’empathie, des ateliers parents-enfants, des médiations par l’art, la culture et la pleine conscience… « Cette approche me permet d’agir au-delà de mes cours. Le cerveau d’un enfant se développe parfaitement dans un environnement bienveillant. Il est alors plus apte à apprendre et l’enfant ira moins vers la violence et la délinquance. Chez BE-N-Joy, l’accompagnement se fait en relation tripartite selon les champs d’action. Au-delà de l’école, travailler avec les politiques de ville, voire nationales est essentiel. La France est encore très mal classée dans les enquêtes PISA, TALIS sur des thématiques comme la persévérance, le taux d’anxiété chez l’élève, la discipline, les burn out et le stress chez les enseignants… », glisse-t-elle. Si elle remporte le Global Teacher Prize, à long terme, elle souhaite fonder un grand domaine dans lequel familles et enseignants pourraient se former et être accompagnés dans leur rôle éducatif. A court terme, elle pourra dispenser des ateliers gratuits au sein des établissements, ou des programmes de réussite éducative au sein des villes.
Une pédagogie inspirée par Montessori
L’autre finaliste française, Juline Anquetin Rault, est professeure d’histoire-géographie au CFA Simone Veil à Rouen. Sa particularité ? Avoir développé une pédagogie alternative inspirée de Montessori pour un public adolescent. « J’ai découvert cette pédagogie, il y a environ 4 ans et je me suis demandée s’il était possible de l’adapter pour mes élèves et si ça pouvait leur être bénéfique », explique-t-elle. Elle se forme alors sur son temps libre, crée une classe différente et change sa manière d’enseigner. Au lieu d’1h40 de cours magistral, elle donne 20 mn de cours puis laisse la place aux ateliers qu’elle a elle-même inventés. Au programme : flash cards, puzzle, quiz sur téléphone, visite de métropoles avec casque de réalité virtuelle, étude de documents classiques, documentaire vidéo, jeu de société revisité, escape game, planche effaçable pour les cartes géographiques…
Une meilleure motivation
Il y a entre 10 et 12 ateliers par chapitre et Juline Anquetin Rault assure qu’elle arrive ainsi à boucler son programme malgré sa densité. « Les élèves réalisent les ateliers dans l’ordre qu’ils veulent, à leur rythme et de manière assez autonome puisque le matériel est autocorrectif. Ils aiment beaucoup le fait de manipuler… Je reste là pour les guider, répondre à leurs questions, les encourager et contrôler leurs acquis avec un système de tampons. Ils ont l’impression d’avoir le choix, ça les motive davantage », constate-t-elle. Dans sa classe, les élèves sont actifs, motivés, plus concentrés, heureux de venir en cours et il n’y a pas de problème de discipline. D’après une enquête menée auprès de ses élèves, 98% recommandent cette manière d’apprendre. Selon la professeure, cette méthode est adaptable à tous les niveaux et à la plupart des matières. Elle a d’ailleurs commencé à former certains collègues et partage la plupart de ses ressources sur Instagram (prof.j.anquetin.raul) et sur son site . Elle a également fait des vidéos de cours pendant le confinement sur sa chaîne Youtube qui ont rencontré un vif succès.
Revoir sa conception de l’enseignement
Elaborer cette nouvelle méthode d’enseignement et son matériel lui a demandé un gros travail personnel les deux premières années notamment, à raison de 50h par chapitre. Il lui a également fallu revoir sa position. « Ce n’est pas évident car il y a un travail de deuil à faire par rapport à sa façon d’enseigner. J’enseigne moins devant la classe mais on retrouve mon cours dans le matériel », confie-t-elle.
Si elle remporte le Global Teacher Prize, Juline Anquetin Rault espère créer un centre de formation pour les enseignants pour développer ces classes autonomes, les sensibiliser à la psychologie de l’enfant, aux neurosciences… « D’une manière générale, en tant que prof, on manque de formation. Je vois trop d’élèves brisés par l’école. Il y a quelque chose à faire », soulève-t-elle.
En attendant de connaître les dix derniers candidats en lice des Global Teacher Prize, courant octobre, Gaëlle et Juline continuent d’œuvrer pour leurs élèves.
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