Pouvez-vous vous présenter ?
Je suis cinéaste, j’ai fait quelques courts métrages de fiction, mais surtout des longs métrages documentaires.
J’ai notamment réalisé « Les Roses noires » – un documentaire tourné avec des jeunes filles dans les quartiers populaires de Marseille et en région parisienne. Un film qui, à partir d’une interrogation sur la langue, dévoile les enjeux adolescents. Puis j’ai réalisé « Les Charbons ardents » avec de jeunes garçons, qui a été tourné en lycées professionnels dans différentes régions, autour de la construction du masculin.
Comment le projet « Château Rouge » est-il né ?
Ces deux documentaires m’ont donné envie d’aller tourner dans un collège et d’y passer du temps. Il n’est pas rare que le désir du film suivant découle de ce que j’ai fait précédemment. Il y a quelque chose de puissant et de vital qui se passe pendant la période du collège : c’est le moment de la « crise » d’adolescence au sens fort du terme ; un moment clé que j’aime travailler et partager avec les jeunes que je rencontre. Pour les parcours scolaires, c’est aussi un moment charnière : c’est là que les premières orientations se décident.
Cette double intensité me paraît intéressante à travailler : il s’agit de comprendre ce qui se joue pour les adolescents et pour les adultes qui les accompagnent. L’idée de ce projet, c’est un film en immersion qui raconte la vie quotidienne du collège pendant plusieurs mois, et qui montre comment les adultes aident les élèves à grandir.
Pourquoi avoir choisi de traiter de l’adolescence ?
Je trouve que c’est une période fascinante : c’est le moment de la vie où l’on voit émerger l’adulte en devenir. Les adolescents traversent beaucoup de choses intenses : leur vision des choses évolue, ils sortent de leur cocon et font le deuil de l’enfance, leur corps change… et il y a un grand désir de sociabilité, cette place importante du « groupe », qui peut apporter tant une sécurité affective qu’une certaine violence relationnelle. L’adolescence est un passage, une transformation, et témoigne d’une intensité vitale assez phénoménale.
Pensez-vous que la relation aux adultes et notamment aux enseignants soit particulièrement complexe à cet âge ?
Sans doute, car il y a beaucoup d’enjeux dans ces relations. D’abord autour de l’orientation : les équipes éducatives doivent accompagner les élèves dans les chemins qu’ils veulent prendre. Le collège cristallise aussi certaines craintes. On demande aux enseignants d’accompagner les élèves malgré les difficultés sociales et/ou affectives que certaines familles affrontent. Ils se battent pour que les jeunes puissent se construire et concrétiser leurs désirs. Ce qui m’intéresse aussi, ce sont toutes les dynamiques collectives qui sont mises en place de la part des équipes éducatives pour favoriser la réussite des élèves.
Concernant la relation des adolescents avec les adultes, j’ai l’impression que chaque adolescent leur accorde une place singulière : certains vont adopter les adultes de leur environnement scolaire comme le prolongement d’une autorité parentale, tandis que d’autres vont affirmer leur opposition. Chaque adulte construit également une place particulière avec eux, c’est très variable.
Cette idée de « nécessaire opposition » est un grand classique de l’adolescence. Au collège, les élèves résistent, provoquent, ont des moments de grande vitalité ou au contraire de grande déprime… Ils se construisent par opposition, tout en recherchant la sécurité. Ils veulent grandir mais finalement en ont aussi un peu peur.
Quels moments de leur quotidien filmerez-vous ?
Cela se fait pas à pas. L’idée de traverser de manière approfondie la vie au collège me demande d’avancer en concrétisant peu à peu différentes couches de travail. Il faut ensuite affiner et suivre ce qui est nécessaire de filmer, au plus près des élèves : en classe, dans les espaces extérieurs, et jusqu’en dehors du collège (dans les quartiers où ils vivent, dans des associations qu’ils fréquentent…)
Nous filmerons aussi les moments avec les assistants d’éducation, et plus généralement tous les personnels qui travaillent dans l’établissement : professeurs, personnels de direction, accompagnement social, personnes de l’accueil, agent.e.s d’entretien. Je me représente le collège comme un grand bateau où tous embarquent pour un voyage de quatre ans, et dans lequel chaque personne est absolument nécessaire.
Vous allez mettre en place au collège un atelier hebdomadaire. Pouvez-vous expliquer en quoi cela consiste ?
C’est un atelier de création dans lequel il s’agit d’expérimenter des formes artistiques diverses, mais qui nous amènent de toute façon à des formes cinématographiques. Ils seront presque vingt élèves à y participer – sur la base du volontariat bien sûr – dont certains que j’ai d’abord rencontrés en entretien. Nous essaierons de mettre en perspective ce qu’ils vivent comme adolescents, de suivre leur évolution dans un espace particulier.
Tous les ateliers ne sont pas filmés, mais certains moments le seront. Les élèves comprennent en général très bien la place de la caméra. Tout cela se construit au fur et à mesure : en documentaire, les personnes qu’on filme nous guident. C’est ce que je trouve joyeux : être dans cette démarche de construction collective.
Comptez-vous mettre en avant les trajectoires de certains jeunes en particulier ?
Je fais un film sur la vie au collège, avec le bouillonnement de la vie adolescente ; je m’attache donc à être à l’écoute des problématiques qui représentent cette période, avec une dimension universelle. Mais il est vrai que certaines personnalités vont nous éclairer sur ce passage avec leurs singularités. Je m’intéresserai alors de plus près à leur trajectoire individuelle.
Le travail a commencé en janvier : comment se passe-t-il ?
Il a commencé par petites touches pour faire des essais et continuer à réfléchir à partir de là. Nous travaillons ensemble : les jeunes, les enseignants, l’ensemble des adultes du collège, l’équipe du film… Nous parlons beaucoup, et construisons ce projet par essais, en délicatesse. C’est réjouissant en tout cas.
Comment envisagez-vous la diffusion du film ?
Pour la diffusion du film, comme pour mes précédents documentaires, nous voulons organiser des projections avec les établissements, avec les rectorats, sur tout le territoire. La question de la diffusion est en fait intégrée au projet global ; l y a tout un aspect centré sur le débat : les sujets du film seront alors re-questionnés par d’autres adolescents, dans d’autres établissements.
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