Dans le cadre du dispositif 6ème tremplin actuellement en cours d’expérimentation dans l’académie d’Amiens depuis la rentrée, Clémence Prandi, professeure des écoles intervient pendant certains cours de maths au collège Jean Moulin à Formerie. Entretien.
Qu’est-ce qui vous a incité à participer au dispositif « 6ème tremplin » ?
On nous a fortement incité à accepter. L’idée me plaisait mais je ne voulais pas que ça empiète sur mes horaires personnels et je souhaitais que ce soit profitable aussi pour mes élèves. Finalement, je suis en co-intervention avec une professeur de maths dans le collège un jeudi sur deux, de 12h55 à 14h45. Pendant ce temps, une professeur d’anglais du collège fait cours dans ma classe et celle d’une collègue. Chacun s’y retrouve.
Comment ont été repérés les élèves de ces 6èmes tremplin ?
Les élèves de CM2 ont passé des évaluations en juin 2022 en français, en fluence et en mathématiques. Elles ont été corrigées par un conseiller pédagogique de circonscription pour avoir une vision d’ensemble. C’est difficile d’évaluer les difficultés d’un élève à partir d’une simple évaluation aussi nous avons eu des échanges et nous avons pu donner notre avis sur le niveau de ces élèves. Ils ont été ciblés pour des difficultés en français, en fluence et/ou en maths et parfois en raison d’un manque de confiance en eux. On a expliqué aux parents le principe de la 6ème tremplin et l’accueil a été positif puisque le but c’est d’aider les enfants à réussir.
Comment ça se passe sur le terrain ?
Grâce à ce dispositif, toutes les classes de 6ème de l’école comportent 20 élèves. Une cinquième classe de 6ème a été ouverte pour permettre cette réduction d’effectif. Quand je vais au collège le jeudi, tous les quinze jours, je suis avec la professeure de maths avec une première classe de 6ème tremplin pendant 55 mn puis nous enchaînons avec la deuxième classe de 6ème tremplin. Dans la première, il y a quatre ou cinq élèves en difficulté en maths et dans la seconde un seul. On ne voulait pas les stigmatiser, les classes de 6ème tremplin comprennent donc aussi des élèves qui suivent très bien. La professeure de maths et moi-même sommes ensemble pendant ce cours. Ça nous permet de pouvoir aider chacun en circulant de table en table. Les enfants osent davantage dire ce qu’ils ne comprennent pas et on peut prendre le temps de leur expliquer. Ce n’est pas un cours en frontal. La professeure leur a préparé un exercice et ils essayent de le faire. S’ils ont besoin d’aide, ils nous appellent. J’ai retrouvé très peu d’élèves de ma classe de CM2 de l’an dernier. Pour les élèves, les deux professeurs sont au même niveau. Il n’y en a pas une plus légitime qu’une autre. J’ai été très bien acceptée.
Comment vous organisez-vous avec la professeur de collège ?
Nous communiquons beaucoup par téléphone et par mail. Le hasard a fait que nous nous connaissions déjà et l’affinité s’est créée plus vite. Elle choisit ce qu’on va faire pendant le cours pour que ça corresponde à ses cours et au programme. Je m’adapte à ce qu’elle propose. C’est assez sympa car on échange beaucoup sur le vocabulaire et sur la manière d’expliquer les choses aux enfants. On ne l’explique pas toujours de la même façon mais l’objectif c’est que l’enfant comprenne.
Avez-vous reçu une formation particulière ?
Oui, tous les professeurs qui interviennent dans ces classes de 6ème tremplin suivent une journée de présentation du dispositif et trois journées de formation avec un professeur de CP qui est lui-même formateur. Ces journées mélangent les maths, le français et la fluence. Nous avons eu des conseils sur la manipulation en mathématiques pour les fractions, le périmètre, des astuces et des idées de travail intéressantes… On profite parfois de ces journées pour échanger avec le professeur avec qui on travaille pour définir le programme des prochaines séances.
En quoi est-ce pertinent de faire appel à un professeur des écoles ?
Je considère que les enseignants du primaire peuvent apporter de l’aide aux professeurs de collège. Et puis la 6ème ce n’est pas loin du CM2. Nos pratiques sont encore fraîches dans la tête des élèves. On intervient en 6ème, il n’y a pas besoin d’être spécialisé pour enseigner à ce niveau. C’est différent avec des élèves de 3ème, 2nde ou autre.
Quels sont les premiers résultats que vous observez ?
Les enfants se sentent plus en confiance, ça je n’ai aucun doute là-dessus. On n’a pas rattrapé le retard qu’ils avaient mais on ne les a pas perdus. L’écart entre ces élèves identifiés et les autres aurait été plus important sans la 6ème tremplin. Personne n’a décroché. C’est positif mais on ne va pas faire des miracles avec une heure d’aide personnalisée tous les quinze jours. Disons que c’est mieux que rien. Au moins on essaye et c’est comme ça qu’on avance.
C’est sympa aussi de faire intervenir des professeurs des écoles. Il y a souvent un hiatus entre les professeurs de collège et nous. On a parfois l’impression d’être regardés de haut car nous ne sommes pas des spécialistes d’une matière. Mais ils voient que nous pouvons leur apporter des choses. Les élèves ressentent cette bonne entente et ça crée du lien entre l’école primaire et le collège. Et puis, ça me permet aussi de mieux préparer mes élèves à l’entrée au collège. Ils sont contents de savoir qu’ils vont m’y croiser l’an prochain car le dispositif d’expérimentation va durer trois ans.
Dans la communauté éducative, certains disent qu’ils sont déjà débordés, avec des salaires bas et sont peu motivés par cet enseignement supplémentaire. Ça vous semble gérable de participer à ce dispositif alors que des professeurs des écoles manquent à l’appel ?
Je me suis tout de suite positionnée en disant que je ne voulais pas que ce soit sur mes heures personnelles. Les professeurs de collège font moins d’heures que nous et nous n’avons pas le même salaire. J’ai des collègues qui ont choisi de faire ces co-interventions sur l’heure du midi ou le mercredi matin mais ils trouvent déjà que c’est lourd dans leur emploi du temps. L’an dernier, j’avais participé à « Devoirs faits ». Pour une heure par semaine pendant toute l’année, j’ai été payée 350€ en tout. C’est un peu ridicule. Mais là je trouve que c’est intéressant de voir comment se déroule un cours de maths et d’avoir un vrai professeur d’anglais pour mes élèves. J’avais besoin de sens.
Certains craignent un corps unique d’enseignants capable de passer d’un degré à un autre, avec une disparition des concours…
En tant que professeur des écoles, au bout de cinq ans d’enseignement, on peut déjà très bien passer des concours internes pour changer de niveau. Je pourrais le faire mais ça ne m’intéresse pas. Je ne me vois pas répéter plusieurs fois la même chose à plusieurs classes de même niveau. Et on a plus le temps en élémentaire d’expliquer les choses aux enfants. On est beaucoup plus libres dans la manière de faire.
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