Pouvez-vous vous présenter ?
Je suis William Lafleur, connu sur Internet sous le pseudo de M Le Prof, j’ai été enseignant d’anglais de 2011 à 2023, et au moment où j’ai commencé à enseigner, je me suis mis à raconter des anecdotes sur le métier, notamment sur Twitter. Etrangement, cela a intéressé des gens, d’abord quelques dizaines, puis centaines puis milliers, puis centaines de milliers au fil des années.
A vos débuts sur les réseaux, votre ton était léger et humoristique. A ce moment- là, vous n’aviez pas conscience des difficultés qui vous attendaient ?
Je n’ai jamais été béat, mais j’ai toujours adoré mon métier, même au moment de ma démission ! Je n’ai pas de haine du métier, que je trouve très beau, plein de sens. Ce que je regrette ce sont les conditions d’enseignement. Dès ma première année en tant que stagiaire, j’ai vu les limites du cadre qu’on nous impose.
Au fur et à mesure, votre compte a pris une tournure plus engagée. Pouvez-vous me retracer l’évolution de votre prise de conscience ?
J’ai commencé en 2011, et la première grosse désillusion est arrivée en 2016 avec la réforme du collège. Ce qui s’annonçait n’avait pas grand sens : la suppression du latin, les EPI, l’évaluation par compétences, toutes ces choses imposées et que personne ne réclamait. Les enseignants ont encaissé, puis est venue la réforme du lycée en 2019. Et là rebelote… Je me suis dit que chaque réforme allait encore durcir nos conditions de travail et ne répondre en rien aux besoins.
Vous venez de publier un livre, « L’ex plus beau métier du monde« , pour dénoncer cette dégradation des conditions de travail. Comment vous est venue l’idée d’écrire cet ouvrage ?
Moi, je comptais juste démissionner, partir par la petite porte. Au cours d’une discussion sur les réseaux sociaux, j’ai annoncé à une collègue que je voulais partir et ce fut un branle-bas de combat ! Il y a eu des articles dans la presse à ce sujet, des discussions sur les réseaux… Et Flammarion m’a contacté pour écrire un livre. Je me disais que ma décision de partir en tant que telle n’avait pas tant d’importance, mais si je pouvais me servir de cette possibilité d’écrire un ouvrage pour porter la parole des collègues, ce serait beaucoup plus intéressant. J’ai donc lancé un appel à témoignage sur mes réseaux sociaux, pour proposer aux collègues qui le souhaitaient de prendre la parole et de m’expliquer ce qu’ils vivaient au quotidien dans leur métier. C’est comme ça qu’en un été, j’ai reçu plus de 2 400 témoignages.
J’ai tout lu, ce qui était assez déprimant ! Dans tous ces témoignages, des sujets revenaient régulièrement comme le salaire, le rapport aux parents, le rapport à la hiérarchie, les réformes. J’ai dégagé 10 raisons principales qui poussent les collègues vers la démission et c’est comme cela que j’ai fait mon chapitrage.
Quelle serait selon vous la mesure la plus urgente à mettre en place pour améliorer les choses dans l’Education nationale ?
Me nommer ministre d’abord, je gère tout le reste ! Plus sérieusement, c’est difficile de donner une seule mesure, mais pour moi la priorité serait la question des effectifs en classe. Ce n’est plus possible de travailler au collège avec plus de 30 élèves par classe, et jusqu’à 37 ou 38 au lycée. On ne peut pas correctement s’occuper d’eux. Et il ne faut pas s’étonner ensuite de la violence ou du harcèlement scolaire, car quand les classes sont surchargées, la cohabitation entre tous est plus difficile. Énormément de choses découlent de cette question des effectifs.
Vous pensez que l’institution n’est pas attentive aux besoins réels exprimés par les enseignants ?
Il y a vraiment de grands discours autour de l’éducation, qui est soi-disant la priorité des gouvernements. Mais ces discours n’ont aucun rapport avec la réalité. On l’a encore vu en cette rentrée 2023, où l’obsession de Gabriel Attal était la tenue vestimentaire des élèves. Sur 800 00 enseignants, combien sont obsédés par la manière dont les jeunes filles s’habillent ? Je ne pense pas qu’il y en ait tant que ça. Nous ce qu’on déplore, c’est l’accompagnement des élèves en situation de handicap, c’est les classes surchargées, c’est les 3 000 collègues qui manquent à l’appel. Et le gouvernement fait de grandes annonces sur l’uniforme à l’école, et on se dit qu’il n’y a aucun rapport.
Tout comme lors de l’affaire #PasDeVagues, dont je parle dans le livre. Quelle avait été la réaction de Jean-Michel Blanquer à ces violences ? ça avait été d’interdire les téléphones portables pour éviter qu’on filme les incidents en classe et de museler les profs avec le devoir de réserve…
Il y a une partie de votre ouvrage intitulée « Manuel d’autodéfense à l’usage des enseignants », qui donne les clés pour répondre aux critiques formulées à leur égard sur les vacances, le temps de travail… Ces attaques sont encore nombreuses aujourd’hui ?
Oui, c’est beaucoup plus fréquent qu’on imagine, et c’est très pesant, voir insupportable ! On se dit que les clichés sur les 18h par semaine, les vacances, sont dépassés et n’ont plus lieu d’être. Et bien pas du tout ! Je l’ai vu, ne serait-ce que par mes interventions dans les media, sur internet ou à la télévision. Les commentaires sont effroyables. « Encore un prof qui se plaint alors qu’il est tout le temps en vacances ! » On peut se dire que c’est juste une remarque idiote, mais il en arrive une autre, puis une autre et encore une autre, ça n’arrête jamais. C’est un métier difficile en classe, difficile avec les parents, difficile avec le salaire, et quand en plus la société nous voit comme des feignasses, des privilégiés qui se plaignent tout le temps, on se demande pourquoi sacrifier tant de choses pour ce métier !
C’était l’un de vos objectifs avec ce livre : répondre au prof bashing ?
Je n’ai pas écrit ce livre pour me justifier, mais effectivement, il y avait cette idée de montrer la réalité du terrain. Et expliquer à tous ces gens pourquoi on manque de milliers d’enseignants. Il se trouve qu’on embauche en 30 minutes, si c’était un métier parfait, pourquoi est-ce qu’on manque encore de profs ? Ce livre répond à cette question.
Que conseilleriez-vous à un jeune enseignant qui débute aujourd’hui dans l’Education nationale ?
Je lui dirais « Lisez mon livre » !
Je ne suis pas là pour dégoûter qui que ce soit du métier, mais je pense qu’il faut s’y lancer en sachant où on met les pieds. C’est pour cela que je pense que ce livre permettra d’éviter des désillusions. Car là lorsqu’on dit aux profs qu’ils peuvent être embauchés en 30 minutes, c’est comme si on leur disait que n’importe qui peut faire ce métier.
Ce n’est pas le cas. La formation des enseignants est atterrante de nullité, et les jeunes professeurs ne sont pas du tout préparés lors de leur entrée dans le métier. Beaucoup de collègues partent au bout de quelques semaines car ils ne s’attendaient pas à ce que cela soit si difficile. C’est pour ça qu’il faut s’informer sur les conditions d’exercice, sur les statuts, par exemple ceux de TZR ou de brigade, qui sont inconnus du grand public et pourtant sont une réalité pour des milliers de profs.
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Merci pour toutes ces vérités.