Pourquoi souhaitez-vous une réforme en profondeur des INSPE ?
D’après nos enquêtes régulières auprès des stagiaires, il ressort toujours que la formation, bien que variable d’une académie à l’autre, n’est pas à la hauteur de son public. Les quelques réponses positives concernaient des formations très ponctuelles sur des éléments statutaires ou sur les lois RGPD (Règlement Général sur la Protection des Données, Ndlr), par exemple. Les formations pratiques proposées manquent souvent de pertinence et il semblerait que les formateurs soient le plus souvent déconnectés de la réalité du terrain.
Vous écrivez dans vos vœux que « l’autorité du maître trouve sa légitimité dans l’autorité du savoir qu’il a acquis ». Est-ce que les professeurs ont moins de connaissances qu’autrefois ? Est-ce que cela suffit à expliquer un manque d’autorité ?
Il y a l’autorité au sens de crédit moral et intellectuel et l’autorité au sens de faculté à s’attirer le respect et l’obéissance d’autrui. La seconde, pour le professeur, découle de la première. C’est parce qu’il maîtrise sa discipline et la domine, qu’il est légitime et apte à se tenir devant une classe. C’est ainsi qu’il s’attire le respect de ses élèves. Les élèves sentent très vite lorsqu’un professeur n’est pas à l’aise ni assez solide dans sa discipline. Quant « aux connaissances », l’agrégation a conservé son niveau d’exigence disciplinaire, ce qui garantit à ses lauréats un certain crédit moral et intellectuel. Mais en vidant certains concours de leur substance disciplinaire, les « réformateurs » se retrouvent maintenant à gérer une crise sur deux grands volets : la formation des professeurs et leur recrutement. En voulant professionnaliser certains concours, on a sacrifié la maîtrise disciplinaire dans un métier où le but est d’abord de transmettre des connaissances solides. C’est absurde. En faisant cela, on a voulu faire croire à tout le monde que n’importe qui pouvait devenir professeur. Vous en voyez les conséquences.
En quoi la réforme envisagée du concours peut-elle nuire à la qualité de recrutement des futurs professeurs ?
Le risque, en abaissant le niveau du concours à Bac+3, est de recruter des étudiants qui n’ont pas eu le temps d’acquérir les bases scientifiques et les méthodes propres à leur discipline. C’est aussi vider le grade de licence de sa valeur diplômante. On se heurterait aussi à des situations paradoxales : des étudiants ayant validé leur licence mais collés au concours ou inversement. Les années de licence sont des années où les étudiants doivent acquérir méthode et connaissances, ils doivent apprendre à maîtriser les exercices types du concours qu’ils prépareront. Un tel scénario a été envisagé pour régler le problème du recrutement sur le court terme, il ne résoudra pas la crise sur le long terme. Cela n’empêchera pas les démissions ni ne poussera les meilleurs des étudiants à s’inscrire aux concours. Il faudrait que les technocrates lisent en profondeur les solutions proposées par les « gens du terrain ».
A l’heure actuelle, pourquoi les agrégés font-ils souvent leur stage en collège ?
La crise du recrutement doit y avoir aussi une part. L’affectation des stagiaires se fait en fonction du nombre d’heures disponibles dans les établissements dits « berceaux » : il semble que les stagiaires comblent les trous sans que leur statut soit pris en compte.
Vous souhaitez une meilleure reconnaissance du rôle spécifique des professeurs agrégés dans les classes de lycée et dans l’enseignement supérieur. De quelle manière ?
Vous avez pu lire notamment que nous souhaitions qu’en lycée des chaires spécifiques soient accordées aux agrégés dans les enseignements de spécialités. Il faudrait aussi développer, dans les villes universitaires, des services partagés entre le lycée et les premières années de licence pour certains agrégés, afin qu’ils puissent faire la charnière entre les deux niveaux. Dans le supérieur, il serait bon, également, que les universités valorisent leurs professeurs agrégés en leur permettant d’accéder plus facilement à des postes de maîtres de conférences, lorsqu’ils publient et sont titulaires d’une thèse.
Pourquoi votre association préconise-t-elle un mouvement national à la place du système du mouvement à gestion déconcentrée ?
Le système que nous préconisons dans notre vœu permettrait à chacun de candidater pour un poste sur tout le territoire national et, pour les agrégés, de demander un lycée n’importe où, ce qui augmente les possibilités d’en obtenir un sans être limité à une académie. Cela suppose des ajustements au niveau local de la part des rectorats. Si le poste est accordé, le collègue obtiendra sa mutation, s’il n’a pas le poste, il restera sur son poste. L’idée étant d’encourager les collègues à demander des lycées et non à muter sans savoir dans quel type d’établissement ils se retrouveraient.
Concernant le remplacement des professeurs absents, vous dénoncez la stigmatisation du corps enseignant par le ministère et l’incitez à prendre ses responsabilités. Qu’est-ce qui devrait changer pour parer à cette pénurie de personnel ?
Une telle pénurie ne peut se résoudre sans un calendrier pluriannuel de revalorisation financière, morale et sociale du métier de professeur. Le problème n’est pas seulement de bien former et recruter, il est aussi de garder les derniers personnels qualifiés sur le navire. Il faut ouvrir des postes et cesser de fermer des départements dans les universités sous prétexte que le nombre d’étudiants baisse. Il faut que l’État permette aux meilleurs étudiants qui se destinent au métier de professeur d’étudier dans des conditions décentes en leur attribuant des bourses suffisamment élevées, afin qu’ils n’aient qu’à étudier, sans se soucier de savoir comment se loger et se nourrir. Les préparations aux concours doivent être soutenues dans les universités et non faire l’objet de fermetures. Le ministère doit aussi revoir toute la gestion de ses ressources humaines et cesser d’écraser les personnels de réformes, d’injonctions et de missions supplémentaires sans leur donner ni les moyens ni le temps de les accomplir. De telles méthodes ont détruit le système qui est à bout de souffle. Il faut entendre les demandes qui émanent du terrain au lieu de les étouffer. Pour que l’on puisse espérer un jour endiguer cette crise, il faut aussi redonner du sens au métier de professeur : ce n’est pas en le vidant de sa mission première et en gérant le service public comme une entreprise privée qu’on donnera envie aux étudiants de s’engager dans le métier. Le ministère doit revoir sa copie et accorder plus d’estime à l’École publique et à ses agents.
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