Quelle place pour le latin et le grec aujourd’hui au lycée ? Le point avec le président de la CNARELA. Image : Getty

Quelles sont les satisfactions de cette année concernant l’enseignement du latin et du grec au lycée ?

Il y a toujours de la demande pour les langues anciennes, des élèves et des professeurs motivés. Certains jeunes sont vraiment curieux d’apprendre et doués, c’est plaisant. On est contents de ces bons rapports. Je constate aussi que certains lycéens se sont bien emparés de la réforme et ont créé des parcours originaux. J’ai un élève, par exemple, qui a fait les spécialités maths, physique et grec en 1ère. J’ai aussi une élève qui veut devenir professeur des écoles. Elle a pris HLP (Humanités, littérature et philosophie), maths, et histoire-géo en 1ère et en Terminale elle fait toujours du latin et du grec en option. Elle a été très stratégique dans ses choix qui l’aideront à passer le concours d’enseignant plus tard. Malheureusement, ces choix éclectiques ne sont pas toujours compris par certains enseignants. Les filières S, L et ES sont encore très présentes dans leur tête ainsi que celle de beaucoup de parents et d’élèves.

Comment se situent les effectifs pour l’enseignement du latin et du grec ?

Il faut se battre énormément pour avoir les chiffres exacts concernant les inscriptions au collège et au lycée. Sous le ministre Blanquer, il avait été décidé de mettre en place des commissions académiques autour des langues anciennes afin d’avoir une vision plus fine par académie et département mais avec les changements de ministres ça n’a pas été mis en place. C’est un peu dommage. Ces dernières années, on était à plus de 500 000 élèves en France en collèges et lycées publics et privés confondus à suivre les options latin ou grec ou l’enseignement de spécialité au lycée.

Quelles sont les difficultés auxquelles vous vous heurtez ?

Il y a encore des a priori qui persistent. Il faut arrêter de croire que le latin et le grec sont réservés à l’élite. Une note de la DEPP sur les choix d’enseignement de spécialité a démontré que la LLCA (Littérature et Langues et Cultures de l’Antiquité) latin et grec n’attirait pas forcément les catégories socio-professionnelles les plus hautes. C’est très ouvert. On a des collègues qui s’investissent dans les zones d’éducation prioritaire, que ce soit en collèges ou en lycées, et les effets y sont très positifs notamment sur les compétences de lecture et d’écriture.

Préserver les enseignements de latin et de grec est un travail de longue haleine. Il faut être là aux inscriptions pour parler de ces disciplines. On nous a souvent accusé de perdre trop d’élèves entre le collège et le lycée mais certains établissements découragent les lycéens de choisir plusieurs options. D’autres placent systématiquement les heures de latin ou de grec en fin de journée, ce qui pénalise les élèves qui font déjà l’effort de prendre des options.
Il faut aussi se battre pour sauver les heures dans la dotation. On a trois heures pour chaque classe et pour chaque niveau normalement en Seconde, Première et en Terminale mais c’est souvent moins. Parfois, il y a même des regroupements de 2nde, 1ère, Terminale. C’est souvent compliqué.

L’an dernier, vous nous disiez que certaines académies faisaient suivre aux élèves de la spécialité 1 heure en commun avec les élèves qui suivaient l’option. C’est toujours d’actualité ?

Oui. Très souvent l’enseignement de spécialité qui dure 4 heures en 1ère et 6h en Terminale, voit la moitié de ses heures couplées avec celles des élèves qui suivent l’option. La spécialité LLCA qui existe en latin et en grec a été qualifiée de spécialité rare donc les élèves sont rares aussi et on ne peut pas avoir 35 élèves dans le groupe. Il y a donc du bricolage. Ces acrobaties ne sont agréables ni pour les professeurs ni pour les élèves. Comme toutes les spécialités, elle est dotée d’un coefficient 16 et a un programme exigeant. Il y a une forme d’injustice par rapport aux élèves qui suivent d’autres spécialités et qui ont vraiment 6h d’enseignement dédié. C’est difficile de trouver un équilibre mais au moins la spécialité a le mérite d’exister.

Une note de la DEPP publiée en mars 2024 indique que près de la moitié des élèves abandonnent les spécialités LLCA latin (55%) et grec (42%) en Terminale. A quoi l’attribuez-vous ?

On voit souvent que les élèves sont plus ou moins contraints d’abandonner car la spécialité n’ouvre pas toujours en Terminale, faute de moyens dans les dotations.

Certains élèves ont aussi des parcours qui demandent de conserver d’autres spécialités à privilégier pour leurs études. Quand l’enseignement supérieur aura vraiment un affichage plus clair sur ce qui est attendu (et on voit se clarifier enfin certaines positions dans plusieurs filières), le choix des élèves sera sans doute plus simple aussi.

L’an dernier, vous nous faisiez part de la concurrence des options maths complémentaires, maths expertes et droit et grands enjeux du monde contemporain. Comment ça s’est passé cette année ?

La concurrence existe toujours. Ces options sont accessibles uniquement à partir de la Terminale. Si les lycéens ont déjà deux options, ils en abandonnent souvent une pour accéder à celles-ci. Toutes ces options sont complexes à intégrer dans les emplois du temps. Certains chefs d’établissement font leur maximum pour que les lycéens puissent suivre un maximum d’options, et parfois ils ne font rien ou prétendent qu’une seule option est possible alors que les textes officiels prévoient le contraire. Ce n’est pas normal.


Y a-t-il une évolution du nombre d’établissements proposant ces enseignements ?

Non. Nous demandons régulièrement au ministère que les établissements qui disposent déjà de l’option latin et/ou grec proposent au moins la spécialité car sinon aucun élève ne la demandera. Et les jeunes n’iront pas non plus dans un autre établissement éloigné de leur domicile pour suivre cette spécialité.


Vous avez été reçus au ministère de l’Éducation nationale le 27 mars. De quoi avez-vous discuté ?

On a abordé les grandes difficultés et alerté le ministère sur ce qu’il se passe au collège. Comme au lycée, l’enseignement des langues anciennes est pris sur les marges. Or les marges vont être utilisées pour créer les groupes de niveaux en français et en maths. Dans plusieurs établissements, cela signifie la disparition pure et dure de l’option latin en 5ème. Le ministère avait déjà eu des remontées dans ce sens et a priori la ministre ne souhaite pas une réduction de l’offre actuelle. Mais entre ce que la ministre dit et la réalité du terrain, il y a toujours un écart. Des dotations vont être remaniées et représentées dans les établissements d’ici la fin de l’année scolaire. En cas de blocage sur certains cas, on devra intervenir au niveau ministériel ce qui n’est pas normal. Nous demandons juste que les moyens donnés au latin et au grec soient vraiment fléchés. On est obligés de se battre pour le métier pour lequel on a été recrutés. Le grec est le premier sacrifié et juste après le latin. C’est infernal.

Vous avez également évoqué la question du concours avec le ministère…

Oui. Cette réforme est également mise en place à une rapidité affolante. Il est intéressant que les étudiants en M1 et M2 soient payés mais l’année de Licence s’en trouve alourdie. Et aujourd’hui, on n’a plus de candidats au concours. Ça ne touche plus uniquement les lettres classiques ou l’allemand mais toutes les disciplines. Ça va être très compliqué à la rentrée.