Hélène Milano : « Les adolescents vivent en permanence des révolutions. Le tournage a d’ailleurs fait écho à ma propre expérience d’adolescente. » Image du film « Château rouge », crédits Dean Media/ TS Production 

À l’origine comédienne et metteuse en scène, Hélène Milano s’est peu à peu dirigée vers le cinéma en faisant quelques moyens-métrages de fiction, puis s’est lancée dans le documentaire. “Château rouge” est son troisième long métrage, filmé dans un collège parisien pendant près d’une année scolaire.

“Château rouge” est votre troisième documentaire sur l’adolescence…

Oui, après « Les Roses noires » tourné avec des jeunes filles, et « Les Charbons ardents » qui s’intéresse aux jeunes garçons. Je pensais que ces deux films étaient un diptyque, mais j’ai eu envie de continuer à filmer l’adolescence et j’ai réalisé en le faisant que ces trois films venaient former un triptyque.

Les adolescents vivent en permanence des révolutions. Le tournage a d’ailleurs fait écho à ma propre expérience d’adolescente.

Lors de la réalisation des deux précédents documentaires, j’ai fait la rencontre d’une jeunesse qui m’a profondément émue, notamment en raison de la solitude de ces jeunes gens dans un monde devenu très complexe. Je voulais continuer à explorer ce sujet.

Dans quel établissement avez-vous réalisé ce film ?

Au collège Georges Clémenceau, dans le quartier de la Goutte d’or à Paris. C’est un quartier solidaire ; beaucoup de gens arrivent ici parfois après des longs voyages et épreuves, et créent encore leurs repères. Certaines familles affrontent des difficultés sociales et économiques fortes. C’est aussi un quartier joyeux, qui fait communauté, et auquel les jeunes sont vraiment attachés.

J’ai eu une grande chance d’être présentée à cette équipe pédagogique, très engagée au quotidien.

Comment avez-vous procédé pour introduire le projet au collège ?

J’ai d’abord passé du temps au collège sans caméra, avec les élèves, les enseignants et les membres de l’équipe pédagogique. J’ai ensuite monté une petite troupe d’élèves de troisième sur la base du volontariat : on se retrouvait chaque mardi après les cours, et on faisait ensemble du travail de plateau, d’écriture, de chorégraphie… de tout ordre. D’ailleurs ce ne sont pas automatiquement les élèves de ce groupe que j’ai le plus suivis dans le film, même si ça a été le cas pour certains d’entre eux.

L’idée était de partager des moments artistiques, mais sans idée de performance. C’était la première fois que je mettais en place des ateliers sous cette forme pour un de mes films documentaires, bien que la mise en scène de pratiques théâtrales vienne toujours nourrir mon cinéma.

Cela m’a permis tout au long de l’année de faire “partie de la maison” auprès des adultes et des jeunes. La caméra est arrivée peu à peu et n’était pas là tout le temps.

Hélène Milano, Copyright Sarah Robine

Quels enjeux de l’enseignement avez-vous abordés avec ce film ?

Le collège est un territoire de rencontre entre adultes et enfants, et l’accompagnement des adultes y est fondamental. Il y a donc dans le documentaire de nombreuses scènes filmées en classe avec les enseignants, mais aussi chez l’infirmière, avec l’assistant social, les CPE…

Ces images mettent en lumière ce qui se joue dans ces interactions entre adultes et adolescents : confiance, accompagnement, mais aussi une “opposition nécessaire” de la part des adolescents, qui apparaît en filigrane. Il y a chez eux un désir de rester dans un cocon, et en même temps ils sont traversés par la nécessité d’entrer dans l’âge adulte.

Plus généralement, le film se concentre autour de certaines thématiques abordées dans leur lien avec ce que les élèves vivent à l’école. Ils nous embarquent avec eux jusqu’à des problématiques plus larges, qui sont dans une certaine mesure prises en charge par l’école : on sent d’ailleurs que les familles se sentent en confiance avec l’équipe pédagogique.

Parmi ces problématiques, il y a le décrochage scolaire, très présent dans le film.

Dans les milieux fragilisés par des contraintes sociales, familiales et économiques, les motivations sont difficiles à tenir. Les enfants n’osent pas toujours parler avec leurs parents de leurs difficultés car ils veulent les protéger et ils se retrouvent souvent très seuls. Le découragement s’installe. Mais il y a des tas d’autres raisons possibles et le décrochage est souvent un symptôme. D’où la nécessité de l’accompagnement et de la vigilance des adultes.

Pourquoi avoir fait le choix de réaliser des entretiens individuels en plus des scènes de la vie du collège ?

Au départ, le projet n’était pas du tout de faire des entretiens, mais au fur et à mesure du tournage, j’ai eu envie de leur donner la parole. Et par ailleurs, j’aime beaucoup travailler le portrait. J’ai donc filmé ces entretiens, sans savoir si j’allais garder au montage. Mais ils se sont révélés être une troisième matière nécessaire au film : le premier défi au montage a d’abord été de trouver un équilibre entre les moments de vie du collège, le cinéma direct d’accompagnement des élèves, et des temps plus “intérieurs” centrés sur le ressenti des jeunes.

Quel a été le rapport des élèves et des adultes du collège à la caméra ?

J’ai pris le temps d’enraciner la caméra, et de faire en sorte que tout le monde soit à l’aise avec sa présence. Il est essentiel d’installer un rapport à la caméra dans lequel personne ne se sent pris dans une forme de pression.

Forcément, il y a des jeux qui se mettent en place, surtout dans les situations de groupe. Les jeunes peuvent se mettre en représentation (être dans les attendus de leur genre ou de leur appartenance au groupe ou bien encore parfois se cacher). Il y a des stratégies de protection qui se mettent en place car c’est toujours difficile de laisser émerger son je au milieu du nous. À cet âge-là plus qu’à n’importe quel autre, il y a beaucoup d’inconnu dans chaque situation.

En revanche, les sujets du film ne surinvestissent pas la caméra, car en tant que cinéaste je n’alimente pas l’interprétation, et je leur montre que ce qui m’intéresse, c’est que nous nous rencontrions sur le terrain de la sincérité.

Le passage du brevet était-il un moment particulier à filmer ?

C’est leur premier examen et on comprend dans leur trac, leur désir de réussite et la crainte de ne pas y arriver. Ils ont à ce moment-là une candeur et une beauté de la fragilité. En soi le brevet contient une dramaturgie de notre système.

Comment le film sera-t-il diffusé ?

Le film sort en salles en janvier.

Par ailleurs, nous avons commencé à faire des projections-débats avec des collégiens et lycéens, et c’est formidable : à chaque fois j’apprends encore de nouvelles choses, car le film invite les spectateurs à parler d’eux et il y a un vrai dialogue qui s’instaure. Nous essayons donc de proposer ce format de scolaires le plus possible, je me rends disponible pour ça.

Avez-vous déjà un prochain projet en tête ?

J’ai le projet de travailler sur une fiction qui rassemble ces quinze années ce travail, avec un public adolescent, une histoire d’amour avec de jeunes gens.