
Image : Getty
Ratures excessives, relectures compulsives, lavages de mains répétés, retards fréquents… Les troubles obsessionnels compulsifs chez l’enfant peuvent prendre des formes multiples, parfois déroutantes pour l’entourage scolaire. Loin des clichés, le TOC constitue un trouble anxieux à part entière, marqué par la répétition de rituels que l’élève ne parvient pas à contrôler, au prix d’une grande fatigue psychique.
À l’école, ce trouble souvent invisible peut entraver le travail scolaire, provoquer des crises, susciter l’incompréhension des pairs ou des enseignants, et conduire à un isolement progressif. Pourtant, des traitements efficaces existent, et des aménagements peuvent être mis en place, à condition d’identifier le trouble suffisamment tôt. Raphaël Blot, vice-président de l’association AFToc et ancien malade, appelle à mieux former, mieux diagnostiquer, et surtout, faciliter l’accès aux soins.
Pouvez-vous vous présenter ainsi que l’association AFToc ? Quelles sont ses actions et ses missions ?
Je suis vice-président de l’association AFToc et ancien malade. J’ai souffert de TOC de l’adolescence jusqu’à mes 26 ans, avant de suivre une thérapie comportementale et cognitive (TCC), le traitement de référence. Depuis 2020, je n’ai pas connu de rechute. Je me considère rétabli, même si on parle rarement de « guérison », car le TOC repose très probablement sur un mécanisme neurochimique du cerveau. Une certaine vulnérabilité peut persister, mais il est important de transmettre un message d’espoir : des traitements efficaces existent, y compris pour les enfants.
L’AFToc, fondée il y a plus de trente ans, soutient les personnes concernées par le TOC ainsi que leur entourage, souvent très affecté, notamment dans les cas pédiatriques. Elle organise des groupes de parole, diffuse de l’information via son site et sa chaîne YouTube, et donne la parole à des témoins comme à des spécialistes. L’association mène aussi un travail de sensibilisation, car le TOC reste largement méconnu et sous-estimé. L’un de ses principaux combats est l’accès aux soins : nous savons quels traitements sont efficaces, mais beaucoup de patients peinent à les obtenir. Nous alertons donc les pouvoirs publics, tout en soutenant et relayant les avancées de la recherche scientifique.
Pouvez-vous nous expliquer ce que sont concrètement les troubles obsessionnels compulsifs ?
Les TOCs sont une véritable maladie psychique, souvent confondue à tort avec de simples manies. Il s’agit du quatrième trouble psychique le plus fréquent en France, après les addictions, la dépression et les troubles phobiques. On sait aujourd’hui qu’il est lié à un dysfonctionnement neurochimique du cerveau, perturbant la perception du danger. Le TOC repose sur deux composantes : des obsessions (pensées intrusives et très anxiogènes) et des compulsions (gestes ou comportements destinés à apaiser l’angoisse). Ce soulagement étant temporaire, les rituels s’intensifient avec le temps, formant un cercle vicieux.
Par exemple, une personne atteinte d’un TOC de contamination peut se laver les mains de façon excessive après avoir touché un objet, persuadée que ce geste la protège. Ces comportements s’ancrent dans les circuits d’apprentissage du cerveau, les rendant difficiles à enrayer. Dans les formes sévères, ils peuvent occuper jusqu’à douze heures par jour, avec des répercussions majeures sur la vie sociale, scolaire ou professionnelle.
Comment se manifeste le TOC chez les enfants ? Et comment savoir s’ils en souffrent, surtout s’ils n’en ont pas conscience ?
Les manifestations du TOC chez l’enfant sont très variées : ratures excessives, devoirs recommencés, fatigue liée aux automatismes, irritabilité, retards fréquents, relectures compulsives, lavages de mains répétés, passages fréquents aux toilettes… Ces signes peuvent alerter, mais il faut éviter les surinterprétations. Un enfant lent ou attaché à certaines habitudes ne souffre pas nécessairement de TOC.
Ce qui distingue un TOC, c’est la rigidité. La pensée obsessionnelle s’impose à l’enfant sans qu’il puisse y échapper. Par exemple, si une sortie à Disneyland est prévue, un enfant sans TOC pourra sauter un rituel habituel sans difficulté. Un enfant souffrant de TOC, en revanche, ne pourra pas partir tant que ses rituels ne sont pas accomplis, même si l’activité lui fait plaisir.
Les jeunes enfants n’ont pas toujours conscience de ce qu’ils vivent. Ils peuvent souffrir sans savoir que leurs comportements sont pathologiques. Chez eux, ce sont souvent la fatigue, l’irritabilité ou des colères inexpliquées qui doivent alerter. Seule une consultation avec un professionnel de santé, notamment un pédopsychiatre, permet de poser un diagnostic. Une fois établi, la TCC est le traitement de référence. Elle est très efficace, à condition de bien comprendre les mécanismes du trouble, que la thérapie vise à déconstruire.
Quels sont les traitements existants pour le TOC ?
Deux approches sont reconnues. Le traitement de première intention est la thérapie comportementale et cognitive. Elle consiste à s’exposer volontairement à la situation anxiogène sans réaliser la compulsion. Dans mon cas, porter une chemise déclenchait une angoisse intense et le besoin de me doucher pendant une heure. En TCC, j’aurais dû porter la chemise et résister à l’envie de me laver. L’objectif est de montrer au cerveau qu’il n’y a pas de danger réel sans rituel. La TCC permet, par la répétition des exercices, de corriger ces fausses associations.
En complément, un traitement médicamenteux peut être prescrit, notamment des antidépresseurs de type ISRS. Ils agissent sur le déséquilibre chimique à l’origine du TOC et réduisent les obsessions, ce qui atténue les compulsions. Mais ces médicaments ne sont pas curatifs. Sans TCC, les TOC reviennent souvent à l’arrêt du traitement. Chez les enfants, on évite autant que possible les antidépresseurs. Mais dans les formes sévères, ils peuvent être nécessaires temporairement pour rendre la TCC possible, lorsque l’angoisse est trop intense. Cela reste une solution d’appoint, utilisée avec prudence par les pédopsychiatres.
Un jeune souffrant de TOC rencontre-t-il des difficultés dans son parcours scolaire ?
Oui, très souvent. Les rituels ralentissent l’enfant, provoquent des retards, et peuvent mener à un décrochage scolaire. Les relations sociales en pâtissent aussi car certains comportements peuvent paraître étranges et susciter des moqueries. Parfois, les enseignants eux-mêmes, par méconnaissance, peuvent avoir des réactions inadaptées.
Les enfants atteints de TOC savent que leurs rituels sont irrationnels. Dans mon cas, je savais que me laver les mains 80 fois par jour n’avait pas de sens, mais je ne pouvais pas m’en empêcher. Il y a donc une double souffrance : celle des rituels eux-mêmes, et celle de la lucidité. Si en plus l’enfant est confronté au rejet ou aux critiques, l’isolement s’aggrave.
Un élève atteint de TOC peut-il faire des crises en classe ? Et comment réagir ?
Oui, surtout si l’élève est empêché d’accomplir un rituel. Les enfants sont souvent épuisés, ce qui accroît leur irritabilité. Une interruption soudaine d’un rituel peut provoquer une crise de nerfs, avec des pleurs, de la colère, ou des réactions émotionnelles vives. Cela peut aussi arriver chez les adultes.
À l’école, tout commence par une bonne circulation de l’information. Les enseignants doivent pouvoir échanger, s’appuyer sur les psychologues scolaires, et impliquer les parents, parfois peu conscients de ce que vit leur enfant en classe. Le TOC est parfois invisible à la maison, mais repérable à l’école, à travers des signes comme la lenteur, les ratures excessives ou les retards.
Une fois ces signaux identifiés, un dialogue entre les parents, l’équipe éducative et les professionnels de santé permet d’envisager des aménagements. Dans certains cas, une reconnaissance du trouble peut ouvrir l’accès à un accompagnement via la MDPH, notamment par un AESH. Les infirmiers et psychologues scolaires jouent un rôle clé, et les enseignants doivent pouvoir s’appuyer sur eux pour ajuster leur posture. L’essentiel est de privilégier l’échange et la bienveillance. Éviter la pression ou les jugements permet non seulement de prévenir les crises, mais aussi de créer un cadre sécurisant où l’enfant peut mieux gérer son trouble et progresser.
Quels conseils donneriez-vous aux parents pour aider leur enfant dans son parcours scolaire ?
La bienveillance est essentielle, mais elle doit s’accompagner de réflexes adaptés. Les parents doivent écouter les enseignants et accueillir leurs remarques sans se braquer. Si l’école signale un comportement préoccupant, il ne faut ni nier, ni minimiser. Cela peut être difficile à entendre, mais c’est une étape cruciale. Si les symptômes persistent et que l’enfant semble en souffrance, il est important de consulter un professionnel de santé. Il ne s’agit pas de médicaliser chaque difficulté, mais de réagir avec justesse quand une détresse s’installe. Plus la prise en charge est précoce, plus elle est efficace.
Les parents ont aussi un rôle à jouer dans les démarches administratives, comme celles auprès de la MDPH. Mais surtout, ils doivent comprendre le trouble. Il est essentiel de s’informer. L’entourage a un impact direct sur l’évolution du TOC. Un phénomène fréquent, appelé « accommodation familiale », survient lorsque les parents, pensant aider, participent malgré eux aux rituels. Certains vont jusqu’à se laver les mains à la place de l’enfant, préparer ses repas selon des séquences précises ou éviter certains lieux ou objets. Ces gestes, bien intentionnés, renforcent en réalité le trouble. C’est pourquoi il est essentiel que les familles sachent comment se positionner. L’AFToc propose à ce sujet des ressources, dont des vidéos pédagogiques avec des spécialistes.
Quels dispositifs existent aujourd’hui pour aider les jeunes atteints de TOC dans leur scolarité ?
L’AFToc ne propose pas d’accompagnement individuel, mais organise des groupes de parole, qui sont souvent d’un grand soutien pour les familles. Le TOC bouleverse profondément le quotidien, fragilise parfois le couple parental, et génère beaucoup de détresse. Pouvoir échanger dans un espace bienveillant peut vraiment faire la différence.
Concernant l’école, tout repose sur la coopération entre professionnels de santé, enseignants et familles. Mais le principal frein reste l’accès aux soins. Beaucoup de parents, une fois informés, peinent à trouver un thérapeute formé à la TCC appliquée au TOC. C’est une spécialisation à part entière, différente d’autres approches utilisées pour traiter les phobies ou l’anxiété. En dehors de Paris, les ressources sont très limitées.
L’AFToc dispose d’un réseau national permettant d’orienter les familles vers des centres spécialisés ou des professionnels compétents. Mais l’offre publique reste insuffisante, et la majorité des suivis se fait dans le privé, parfois au prix d’efforts financiers importants. Faute d’alternative, certaines familles se tournent vers des thérapeutes mal formés. L’enfant n’avance pas, les parents s’épuisent, et la situation s’aggrave. C’est un cercle vicieux, d’où l’importance d’améliorer l’orientation et la formation des soignants.
Quelles évolutions souhaiteriez-vous voir en milieu scolaire ?
Je vois deux priorités. D’abord, mieux sensibiliser les enseignants. Ils n’ont pas à devenir des spécialistes du TOC, mais savoir repérer les signes et alerter les parents peut permettre une prise en charge plus rapide. Ensuite, au-delà de l’école, il faut former plus de thérapeutes à la TCC spécialisée dans le TOC, partout en France.
Trop de familles vivent aujourd’hui une détresse immense : les professionnels sont débordés, mal formés, ou inaccessibles. Pendant ce temps, les enfants souffrent, parfois dans l’indifférence. Je le redis : les aménagements scolaires peuvent aider, mais ils ne traitent pas le TOC. Le soin se fait en dehors de l’école, avec des professionnels compétents. Nous plaçons beaucoup d’espoir dans la Grande Cause Nationale consacrée à la santé mentale. Les traitements efficaces existent : la TCC, et dans certains cas les antidépresseurs de type ISRS. Mais aujourd’hui, ces solutions ne sont tout simplement pas accessibles à tous, et c’est profondément frustrant.
Modération par la rédaction de VousNousIls. Conformément à la loi relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, vous disposez d'un droit d'accès, de modification, de rectification et de suppression des données vous concernant. Pour exercer ce droit adressez-vous à CASDEN Banque Populaire – VousNousIls.fr 1 bis rue Jean Wiener – Champs-sur-Marne 77447 Marne-la-Vallée Cedex 2.