Aurélia Onyszko-Leclaire est professeure des écoles et co-auteure du livre Enseigner en classe flexible. En 2016, avec d’autres collègues, elle expérimente un enseignement flexible dans sa classe, pour tenter de mieux répondre aux besoins de ses élèves. Elle raconte comment cette méthode a changé sa pratique du métier.

En classe flexible, les élèves travaillent par petites groupes en alternance de façon autonome ou guidés par le professeur. Image : Getty

Pouvez-vous vous présenter ?

Je m’appelle Aurélia Onyszko-Leclaire, je suis enseignante depuis 14 ans. J’ai travaillé en remplacements, en classe unique, en SEGPA, en tant que chargée d’école… J’ai eu des CP pendant longtemps, et je m’occupe maintenant d’élèves de maternelle. Je suis aussi titulaire du CAFIPEMF et formatrice pour de jeunes enseignants qui préparent le concours en master 2.

J’ai co-écrit le livre sur l’enseignement flexible. Le projet est né lorsque j’étais en poste fixe et que j’enseignais à des CP. Avec des collègues, nous étions arrivées à peu près en même temps dans cet établissement de zone urbaine. Nous nous sommes rapidement rendu compte de certaines difficultés que nous rencontrions. Par exemple, nous avions tendance à nous concentrer davantage sur les élèves qui avaient des difficultés, ce qui ne permettait pas aux autres d’atteindre leur plein potentiel. Nous avons donc réfléchi à un système qui puisse faire progresser tous les élèves. Nous avons testé des solutions dans nos classes respectives, puis nous avons mis ces solutions en commun. C’était en 2016. A la rentrée 2017, nous étions en classe flexible.

Nous les avons d’abord partagées sur les réseaux sociaux (sur nos comptes personnels), puis des collègues d’autres établissements s’y sont intéressés et nous nous sommes vite retrouvées à devoir répondre à de nombreuses questions. J’ai donc décidé d’ouvrir un blog, et ce blog a été vu par les éditions Retz qui m’ont contactée pour l’écriture d’un livre. Avec mes collègues, nous n’avons pas tout de suite compris cet engouement. Mais la maison d’édition est venue à l’école pour observer notre pédagogie et nous a expliqué ce qu’il y avait d’intéressant à partager : nous nous sommes donc lancées dans l’écriture d’un livre, ensemble.

J’anime occasionnellement des formations sur la classe flexible : pour le Réseau Canopé, pour des salons d’éducation…

En quoi consiste l’enseignement flexible ?

L’enseignement flexible consiste à organiser le travail en petits groupes, de manière à libérer du temps à l’enseignant pour se consacrer à des groupes réduits (6 à 12 élèves) et à pouvoir adapter l’enseignement aux besoins des élèves. Prenons la lecture : il est difficile de faire lire chaque élève lorsque l’on travaille avec le groupe-classe entier, surtout quand on a des élèves avec des besoins spécifiques (à l’époque où j’ai mis cette méthode en place, j’avais des élèves qui ne parlaient pas français). Travailler en groupes réduits permet d’avoir une séance où chacun peut lire. C’est l’enseignant qui forme les groupe, en fonction des besoins.

Comment ça s’organise, concrètement ?

Chaque enfant a sur sa trousse une carte qui lui indique à quel groupe il appartient, dans chaque matière. Pendant qu’un groupe est avec l’enseignant, les autres ont une feuille de route avec des activités à faire, qui leur permettent de réinvestir des notions vues en classe et de consolider leurs compétences.

Pour cela, on réorganise l’espace de la classe. On aménage un espace guidé avec des tables en U pour le travail avec l’enseignant, et dans une autre partie de la classe, des espaces d’autonomie différents pour chaque matière. Ici, les enfants pourront réaliser leurs activités en circulant entre les espaces, et échanger entre eux. Dans cette partie de la classe, il y a du “bruit de travail” comme je l’appelle, qui est à distinguer du “bruit de bavardages.” Selon le niveau de chaque élève, on peut mettre en place des systèmes de tutorat, où un élève va aider l’autre dans une matière. Tout cela s’auto-régule.

Concernant la notation, les élèves ont un “cahier de progrès” avec des compétences à acquérir. Parmi elles, je mets des compétences variées, de manière à ce que chacun, peu importe son niveau, puisse en valider plusieurs (par exemple, en classe de CP, je mets des objectifs de grande section, de CP et de CE1). Lors des temps qu’ils ont en autonomie, ils réinvestissent les compétences qu’ils ont vues en classe. Lorsqu’un élève pense pouvoir valider une compétence, il fait une “activité de validation” que je corrige ensuite avec lui. Si c’est bon, il colorie la compétence dans son cahier de progrès. C’est un système d’évaluation positif : chacun peut valider des compétences à son rythme, avec l’observation de l’enseignant, sous forme d’entraînement. Ce n’est pas une évaluation type “papier-crayon” qu’ils passent tous en même temps.

Les élèves s’adaptent bien à ce fonctionnement ?

Personnellement, j’avais peur que les CP ne puissent pas se gérer de manière suffisamment autonome. Mais finalement, ils s’en sortent très bien. Il faut rappeler que les élèves sont déjà assez autonomes en maternelle, puis ils perdent cette habitude à l’école élémentaire. Lorsque j’ai mis en place la classe flexible, certains élèves m’ont dit “C’est comme en maternelle !” Ils ont très vite compris le principe. A l’école, on a tendance à mettre les enfants “en sous-régime” alors qu’ils sont capables de tellement plus. Il faut leur faire confiance.

Est-ce que ce n’est pas du travail en plus pour l’enseignant d’individualiser les apprentissages ?

Au début, l’enseignement flexible demande effectivement beaucoup de travail : on tâtonne pendant un moment, et on passe beaucoup de temps en classe en dehors des heures de cours pour organiser les idées que l’on a. Personnellement, cela m’a pris deux ans pour vraiment mettre tout ceci en place. Mais après, c’est devenu une habitude. En fin d’année avec les CP, je lançais ma séance de lecture, les autres savaient ce qu’ils avaient à faire, et savaient qu’ils pouvaient trouver la solution à leurs questions dans leurs cahiers. La classe devient comme une ruche, tout le monde gravite, tous les élèves sont occupés à faire une activité concrète.

L’enseignement flexible permet par ailleurs de gagner du temps sur certaines tâches : les corrections sont mieux étalées, car les productions d’écrit se font en autonomie. Ce n’est pas une épreuve que tous les élèves passent en même temps et qu’il faut corriger. C’est plus agréable. Aujourd’hui, c’est une façon de travailler qui fait partie de moi et qui se fait toute seule.

Quels sont les bienfaits de cette méthode ?

C’est une méthode qui consiste à mettre en place un apprentissage différencié pour chaque élève, de manière à mieux prendre en compte les besoins de chacun – notamment ceux concernés par des particularités comme le TDAH, pour les élèves en dispositif ULIS… La classe flexible leur permet d’être en mouvement et d’avoir le choix de leurs activités (ou en tout cas l’ordre dans lequel ils les effectuent) ce qui réduit les risques de comportements de crise. Un élève autiste pourra par exemple s’isoler à tout moment s’il en ressent le besoin.

De par cette prise en compte, on observe un développement de ce que l’on appelle les compétences psychosociales (respecter l’autre, s’entraider, partager le matériel, expliquer, faire preuve d’empathie…) qui sont justement un gros point mis en avant par le ministère. Ce fonctionnement met les élèves en position de citoyens : cela s’inscrit complètement dans les programmes et dans les enseignements d’éducation civique et morale.

Conseilleriez-vous à vos collègues enseignants de passer à l’enseignement flexible ?

L’image d’Epinal de la classe où tous les élèves sont sagement assis à leur pupitre, à boire goulument les paroles d’un enseignant debout devant le tableau, c’est terminé. Je me demande même si cela a réellement existé un jour … On entend souvent dire « C’était mieux avant ». Peut-être. Mais le fait est qu’avant ce n’est pas aujourd’hui. Le monde a changé, la société a changé, l’École ne peut pas rester figée dans le passé : elle se doit de se remettre en question et d’évoluer pour s’adapter à tous ces changements.

Pour autant, la décision de passer en classe flexible doit venir de l’enseignant lui-même et découler d’un besoin de sa part – sinon ça ne peut pas marcher. Cette méthode demande une remise en cause : tout changement commence par soi-même. J’ai pu mettre tout ceci en place parce que je bénéficiais de la liberté pédagogique propre au métier. Mais chaque enseignant a sa liberté pédagogique et sa façon de faire. Il n’y a aucune obligation de passer au flexible.

Certains enseignants voudraient s’y essayer mais ont quelques inquiétudes, qui peuvent souvent être dissipées. Par exemple, certains redoutent que lors du passage au collège, les élèves soient déroutés. Mais au collège, les élèves changent à chaque heure de professeur et de salle de classe : ils doivent s’organiser, savoir lire un emploi du temps, et faire preuve d’autonomie. Pour moi, l’enseignement flexible les prépare justement à avoir cette autonomie.

Comment un enseignant qui voudrait enseigner en classe flexible peut s’y prendre pour commencer ?

On peut commencer avec des travaux en demi-classe : une activité autonome pour un groupe, et une activité guidée pour l’autre groupe. Ensuite on échange. Cela permet de repérer les élèves qui sont facilement autonomes et ceux qui ont besoin de plus d’accompagnement, et à réajuster les groupes et les activités. Il faut y aller progressivement.

Le livre que j’ai co-écrit sur le sujet est toujours disponible à l’achat, en format papier et EPUB.