Le design thinking, qu’est-ce que c’est ?
A Canopé, nous parlons plutôt de co-design. C’est une méthodologie qu’on expérimente depuis deux ans dans le champ de l’éducation, mais qui est commune, sur la forme, à diverses disciplines. Nous repensons actuellement toute notre offre et nos services autour de cette démarche créative, car elle permet de fabriquer ses propres solutions en donnant du sens. Elle permet d’identifier des besoins, de répondre à une problématique, et de placer l’utilisateur au centre. Ici, c’est la pensée qui est design, en opposition à la pensée analytique. C’est une manière d’imaginer des solutions à des problèmes rencontrés au quotidien et pour lesquels nous n’avons pas encore trouvé de réponse. Il ne s’agit pas de faire du neuf avec du réchauffé, mais à l’heure où la refondation de l’école entraîne de nombreux basculements (numériques, pédagogiques…), les personnels de terrain s’interrogent sur leurs pratiques et cherchent des solutions.
A Canopé, nous formons ainsi tous les personnels de l’éducation volontaires afin qu’ils s’emparent du procédé et le réinvestissent dans un contexte pédagogique. Lors d’une session, les médiateurs des ateliers Canopé prennent leur casquette d’animateurs, mais n’interfèrent jamais dans les productions. Ils ne doivent en aucun cas être partie prenante. Ils peuvent faciliter la création si un groupe est à court d’idée, mais ils doivent rester dans leur rôle.
Concrètement, comment se passe un atelier de co-design ?
Il y a plusieurs étapes dans le design thinking ou le co-design, mais il faut avant tout comprendre les besoins des usagers pour définir une problématique. On doit ici suggérer de l’empathie et se mettre « à la place de ». On va inviter tous les participants, qui peuvent être d’horizons divers : professeurs, élèves, chefs d’établissement, conseillers principaux d’éducation, femmes ou hommes de ménage, parents, etc à brainstormer. Une fois qu’ils ont distingué toutes les parties prenantes liées à la problématique, nous allons leur demander de retenir une cible et de se mettre dans la peau de cette dernière, en analysant ses besoins. Par exemple, si je me focalise sur un professeur en situation de handicap, quels seront ses besoins si on planche sur une problématique de réaménagement d’espace dans un contexte d’école de demain ? Grâce à un jeu de post-it, les participants se mettent d’accord sur le besoin prioritaire, et la problématique se fige.
L’étape 2, c’est la phase d’idéation autour du questionnement : « Comment notre professeur cible va-t-il pouvoir accéder à cet espace ? » On génère des solutions en multipliant les idées et en collant des post-it ! Puis, face au mur rempli de propositions, on va catégoriser, rassembler et choisir, à l’aide de gommettes, nos trois idées favorites. Après avoir ouvert au maximum les propositions, on resserre, c’est tout l’exercice du design thinking. Grâce à cette étape, on voit très vite les pensées qui ressortent : ce sont celles qui ont le plus de gommettes ! Après un temps de débat, l’objectif est d’en retenir une seule, celle qui sera le squelette de la mise en place. Car l’étape suivante est le prototype où l’on conceptualise et l’on modélise, par petits groupes, ce qui est ressorti jusqu’alors. Des feutres de couleur, des plumes, de la pâte à modeler, des Lego… sont alors distribués pour prototyper la solution qui répond vraiment aux besoins, aux ambitions, aux usages, au contexte.
La dernière phase, c’est le pitch du projet, la restitution. Les groupes se succèdent à l’oral pour vendre leur solution et défendre son existence. On voit alors les projets les plus aboutis et ceux réalisables rapidement.
Que répondez-vous à ceux qui ne jugent pas la méthodologie sérieuse ?
Le co-design étant à la fois une méthode et un état d’esprit, la cohésion du groupe, l’enthousiasme, la forme ludique du processus, sont les ingrédients essentiels qui garantissent la réussite d’un atelier de créativité.
Le co-design ne s’arrête pas au prototypage d’une solution, c’est une méthode itérative où le procédé est destiné à être testé plusieurs fois. On voit ainsi ce qui a marché, ce qui reste à améliorer… Certaines étapes, comme la modélisation, peuvent paraître « gadget » vues de l’extérieur, mais c’est on ne peut plus sérieux. C’est très important de conceptualiser, de matérialiser, car on se rend alors compte de ce qui est faisable et de ce qui ne l’est pas.
On peut trouver cela ludique ou farfelu (il y a des bonbons pour nourrir l’énergie des participants !), mais les premiers retours sont encourageants !
Quelles valeurs fondent la pensée design ?
Lors des séances, tout est extrêmement rythmé, cadré par les animateurs. Or, ils ne descendent pas leur solution mais mobilisent l’intelligence collective. Les participants travaillent par petits groupes, dans lesquels il n’y a pas de leadership : c’est la force du collectif qui fait la réussite du design thinking. Les séances commencent d’ailleurs toujours par une séance de brise-glace, une activité plus ou moins longue, menée à deux ou trois, et destinée à lever tous les freins, à encourager les plus timides, à donner confiance… Il y a tout un contexte, une ambiance à créer en co-design car la bienveillance est le maître-mot. Les idées ne doivent jamais être limitées, toutes les propositions sont acceptées. Il ne doit y avoir aucune contrainte.
Sur quels types de problématiques vous sollicite-t-on ?
Nous sommes intervenus au collège international de Noisy-le-Grand. Le chef d’établissement souhaitait que tout le personnel participe à une séance de co-design afin de dégager les axes et différents plans d’action du projet d’établissement. Au collège de Gournay-sur-Marne, un professeur documentaliste a installé une cabane de lecture au CDI, après une séance de co-design, afin de permettre au lecteur de s’isoler.
Dans le passé, nous avons aussi travaillé auprès d’enseignants pour repenser leurs espaces d’apprentissage, réaménager leurs salles de classe. Parmi les autres problématiques susceptibles d’être traitées : la construction d’un projet de vie lycéenne ; l’inclusion des élèves en situation de handicap ; la mise en place d’actions autour de l’éducation à la santé ; la révision d’une salle de classe pour éviter le décrochage scolaire ; le renforcement du lien entre parents, professeurs et élèves…
Les séances peuvent se dérouler soit en atelier Canopé, soit dans les écoles, collèges, lycées…. Nous pouvons aussi tout à fait intervenir auprès d’une collectivité qui souhaite penser ou repenser la construction d’un établissement du territoire, en conviant des élus, des professeurs, des parents d’élèves…
Qu’est-ce que cela apporte aux élèves ?
Si le professeur adhère à la démarche puis au résultat, il va en comprendre l’intérêt : il va avoir envie de transférer la méthodologie dans le cadre de son projet pédagogique.
Dans un collège de Seine-Saint-Denis, une enseignante formée a transposé la démarche acquise dans sa classe de cinquième. Résultat : la création d’un chapitre d’une quinzaine de pages d’Harry Potter en mode co-design. Un bel exemple de collaboration.
Article très intéressant et encourageant mais n’avons nous pas de mot français pour désigner cette nouvelle méthodologie ?
Je me permets de répondre aux personnes qui ont publié des commentaires: le design thinking est l’état d’esprit des designers. Cet état d’esprit a été conceptualisé par une agence de design américaine appelée IDEO. En français, on peut dire « la pensée design » mais cet état d’esprit est dorénavant plus connu sous le terme de design thinking, on peut le déplorer ou l’accepter.
Par ailleurs, oui, il s’agit avant tout de bon sens, d’autant plus que tous les jeunes enfants possèdent ce bon sens à leur naissance: il s’agit d’aller explorer le monde, le questionner avec curiosité et empathie, sans idée préconçue non jugement, pour chercher à en avoir la compréhension la plus systémique et plus juste possible, en collaborant avec les autres et non pas seul dans notre coin.
Une fois qu’on a identifié un problème, avec empathie et non pas jugement, on fait appel à notre créativité pour trouver des solutions, tout en utilisant nos mains pour construire ses solutions et, avec à la fois humilité et confiance, les tester et tirer des enseignements constructifs de nos erreurs pour les améliorer.
Je suis convaincue que les designers ont gardé cet état d’esprit d’exploration du monde et de création de solutions.
Et je suis convaincue qu’il est extrêmement pertinent d’apporter aux enseignants qui le souhaitent une aide méthodologique afin qu’ils puissent mettre en place des projets de design thinking (ou pensée design) et aider ainsi leurs élèves à développer cet état d’esprit de recherche de solutions à la fois très enrichissant à titre individuel et très pertinent et utile dans notre monde actuel et futur.
Je suis d’abord assez agacée par le vocabulaire : c’est si difficile de parler français, simplement et clairement ?
Ensuite l’ensemble des propositions, sans être vraiment originales, ni mériter un nom particulier, me semble être du simple bon sens : « se mettre à la place de » est un principe évident, indissociable de l’empathie indispensable dans toute relation avec d’autres.
Pour me battre depuis bientôt soixante ans pour une autre école, et une autre manière de faire en éducation, j’ai partagé les enthousiasmes de bien des collègues qui n’avaient pas besoin de changer les mots pour changer les choses : il a toujours suffi de les regarder de près, de les analyser et d’agir, de façon modeste et attentive. Ce n’est pas le design thinking qui fera un école plus juste et plus efficace, c’est un autre regard, plus intelligent et plus près de la réalité.
Je précise enfin que j’ai énormément travaillé avec les CRDP et autres CDDP, qui n’allaient pas chercher midi à Londres pour être utiles !
Cordialement toujours à Canopé.
Eveline