Les projets de programme d’histoire-géographie récemment publiés par le Conseil supérieur des programmes (CSP) font débat auprès des enseignants, notamment ceux de terminale. En quoi font-ils polémique ?
Ce qui retient le plus l’attention dans le programme de terminale générale, c’est qu’il faille traiter en 12-14h un thème qui embrasse beaucoup de choses : la crise de 1929, les totalitarismes et la Seconde Guerre Mondiale. Or, le ministère nous encourage depuis des années, à bien enseigner les génocides des Juifs et des Tsiganes. Car nous le voyons malheureusement ces jours-ci, lutter contre le négationnisme et contre tout ce qui y est lié, nécessite de bien faire comprendre cette réalité aux élèves. Là, le risque, et beaucoup de collègues le pointent, est vraiment de mal enseigner ces thématiques essentielles.
Et ne parlons pas des séries technologiques, où le niveau d’heures est absolument délirant ! En terminale, il n’y a plus qu’une heure et demie hebdomadaire. On va devoir ainsi traiter le monde de 1945 à nos jours en 5h ! La Guerre Froide, la décolonisation, les nouveaux conflits après la chute de l’URSS et l’Union Européenne en 5h ! Quelle vision les élèves auront-ils de la construction européenne ? On nous dit qu’il faut former des citoyens européens, regardez ce qu’on donne aux élèves pour l’histoire de l’Europe… On nous dit qu’il faut former des citoyens vigilants qui vont lutter contre le négationnisme et toutes les formes de racisme. Et voyez le nombre d’heures qu’on nous donne pour enseigner les génocides…
Le programme de 1ère ne permet-il pas d’aborder plus largement ces thématiques ?
Aujourd’hui, le chapitre sur les Guerres Mondiales en première est autour de 9h. Sauf qu’il n’y a pas d’examen à la fin. Et enseigner les génocides quand il n’y a pas d’examen signifie qu’on a la liberté, et 95 % des enseignants la prennent, de consacrer 2h, 3h ou 4h aux génocides. Par exemple, moi je consacre 2h à l’extermination à l’Est, et 2h à Auschwitz.
Avec ces nouveaux programmes, ce temps, nous ne l’aurons plus. Non seulement en terminale, mais également en première, car désormais, il y aura trois épreuves de contrôle continu pour le bac : deux en première et une en terminale.
Nous avons donc un problème de temps et, de plus, nous savons qu’avec ce nouveau programme, une partie ne sera jamais évaluée au bac, puisque le dernier contrôle continu en histoire-géographie a lieu au mois de mars.
La spécialité Histoire-géographie/géopolitique/sciences politiques permettra-t-elle selon vous de rééquilibrer un peu les choses ?
Sur le fond, il y a un chapitre consacré aux génocides, à Nuremberg, et également à la question des Tutsis. Ça rééquilibre effectivement les choses… mais pour une minorité des élèves !
Deuxième problème sur la spécialité : le programme ne nous dit absolument rien du grand oral. Nous ne savons pas si des heures seront dévolues à sa préparation, les élèves étant censés faire un dossier en histoire-géographie/géopolitique/sciences politiques pour le préparer. L’année prochaine en première, il n’y aucun horaire dédié au travail sur ce dossier et sur l’oral qui est censé se préparer en deux ans. En terminale, on se dirige vers la même chose.
Pensez-vous que les enseignants devront encore « rogner » sur le temps dédié aux cours pour préparer cette épreuve ?
C’est très clairement ce vers quoi on se dirige. Très concrètement, dans les dotations horaires globales des établissements, nous n’avons pas les moyens. En 2021, nous présenterons des élèves qui auront été préparés dans des conditions absolument hors de propos, et ce sera à nous de gérer la catastrophe. J’espère que l’inspection générale trouvera quelque chose à y redire.
Quelles auraient été vos préconisations ?
Selon moi, il faudrait sans doute supprimer un thème, en histoire comme en géo, et dans l’idéal, repousser beaucoup plus loin l’épreuve de contrôle continu, qu’elle ait lieu fin mai, pour nous permettre d’avancer au maximum dans le programme. Il y a un problème de calendrier, d’équilibre de programme, et que l’on ne vienne pas nous dire que si on enlève des thèmes, les universitaires vont nous tomber dessus. Je suis désolé, mais ceux qui font les programmes sont les professeurs. Il va falloir arrêter d’écouter tout le monde sur ce qu’il faut y mettre. Il faut que ce soit praticable pour nous.
Je rappelle à ceux qui font les programmes que l’année de terminale, est, pour 90% des élèves, la dernière année de leur vie où ils feront de l’histoire-géographie. Si on ne leur donne pas d’outils et de méthodes, et que l’exercice se limite à du gavage d’oie où l’on finit à coups de polycopiés parce que les programmes sont intraitables, cela va poser un gros problème. 90 % d’un génération partira avec une vision atrophiée de l’Histoire.
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