Quand un professeur est absent, il n’est pas toujours remplacé. S’ensuivent alors des démarches administratives, une gestion logistique, un retard dans le programme… Dans le premier degré, un titulaire remplaçant peut être mobilisé dès la première demi-journée d’absence, lorsqu’il y en a de disponible… Elsa a ses enfants en maternelle dans le Puy-de-Dôme. La maîtresse a été absente deux fois depuis le début de l’année. La première fois, elle a été remplacée et la seconde, non. Les jumeaux d’Elsa ont été dispersés dans d’autres classes. « Il n’y a plus de vacataire dispo pour le reste de l’année a priori. A chaque fois, les enseignants prennent 7-8 enfants en plus dans leur classe. Ca monte quand même l’effectif à 30-32 enfants. C’est la maîtresse qui devait être au bout du rouleau à la fin de la journée ! », compatit cette maman.
Dans le secondaire, si l’absence est inférieure à 15 jours, la plupart du temps, l’enseignant n’est pas remplacé. Les élèves vont alors en étude ou parfois avec un professeur de l’établissement qui accepte de les prendre en heures supplémentaires. « En lycée professionnel, on arrive davantage à faire ce type de remplacement car il y a des modules de pratique plus longs. Mais dans les matières générales, ce n’est pas facile de prendre une classe que l’on ne connaît pas pour assurer un cours d’une heure », explique Claire (le prénom a été modifié), proviseure en cité scolaire (collège, lycée général et professionnel) en Bretagne.
Un remplaçant au-delà de 15 jours, mais…
Si l’absence est supérieure à 15 jours, le rectorat sollicite un enseignant dans son vivier ou recrute un contractuel. Mais dans les faits, les choses sont plus compliquées. La cité scolaire dans laquelle exerce Claire compte plus de 200 professeurs. Des absences, elle en gère presque tous les jours. « Souvent les médecins donnent des arrêts de 15 jours… qui peuvent être prolongés. Quand on s’en doute, on prévient le rectorat pour qu’il engage un remplaçant sinon il faut encore attendre un peu après les deux premières semaines pour avoir quelqu’un », explique-t-elle. Faut-il encore qu’il y ait des remplaçants disponibles. Une situation à laquelle a été confrontée Marie, enseignante en lettres en zone rurale. Elle a été arrêtée pour épuisement et surmenage suite au harcèlement moral d’un supérieur hiérarchique. Faute de remplaçant en lettres sur son secteur, son poste est resté vacant. « Les médecins font des arrêts de 15 jours. Or le rectorat n’envoie personne pour un arrêt de 15 jours. Finalement, j’ai été arrêtée cinq semaines sans avoir de remplaçant et sans pouvoir rattraper ce retard », confie-t-elle. Une histoire un peu semblable à celle d’Henriette, professeur de lettres classiques dans les Bouches-du-Rhône. Elle a été arrêtée deux semaines puis prolongée de trois semaines pour des hernies discales. Les deux premières semaines, le rectorat n’a pas cherché de remplaçant. Comme il n’y avait aucun Titulaire sur Zone de Remplacement (TZR) disponible dans sa discipline, le rectorat a finalement fait appel à une contractuelle.
Les contractuels à la rescousse
Son arrivée a été notée sur Pronote et son nom indiqué dans l’emploi du temps des élèves. « Mais lorsqu’elle a eu connaissance de mon emploi du temps et de mon service (français, latin et grec en collège), elle a refusé tout net. Un TZR n’aurait pas pu refuser de venir mais comme cette dame n’était pas fonctionnaire titulaire, rien ne l’obligeait. Elle pouvait tout à fait se permettre de choisir ses remplacements dans une discipline aussi déficitaire que la mienne », explique Henriette. Personne d’autre n’a été envoyé à sa place. La professeure a son idée sur la raison des difficultés aujourd’hui rencontrées pour trouver des remplaçants. « Les suppressions de postes à l’époque de Sarkozy ont complètement désorganisé le fonctionnement des remplacements. Le nombre de postes supprimés dans l’Education nationale, alors qu’il y avait une hausse du nombre d’élèves, était tout à fait déraisonnable. Comme il n’était pas possible de laisser des classes sans enseignants, ces suppressions se sont faites aux dépens de tout ce qui mettait un peu d’huile dans les rouages de l’EN : sédentarisation de très nombreux TZR pour combler les départs en retraite et donc suppression de leurs postes sur zone de remplacements… », explique-t-elle. Entre juin 2006 et juin 2012, le nombre de CDD de contractuels appelés pour compenser les suppressions massives de postes a ainsi augmenté de 63% selon le Ministère de l’Education nationale.
A cela s’ajoute la pénurie de contractuels dans certaines disciplines. Une situation délicate qui ne laisse rien présager de bon pour l’avenir : « si, comme le souhaite le gouvernement, on va vers plus de gens hors statut recrutés directement par les chefs d’établissement, pensez-vous qu’ils se précipiteront sur les postes en établissements difficiles, très ruraux, etc ? Il restera les titulaires à envoyer là où ces gens ne voudront pas aller », regrette Henriette. Mais là encore cela risque de nuire à l’attractivité du métier…
Des cours difficiles à rattraper
Les professeurs interrogés confirment tous la difficulté de rattraper les heures de cours perdues. Pour Henriette, les élèves en latin et en grec sont répartis sur deux ou trois classes et n’ont pas d’heures libres en communs. Et pour ses cours de français, quand ses élèves pourraient être disponibles, c’est elle qui ne l’est pas puisqu’en cours de LCA (Langue et Culture de l’Antiquité). Si les élèves soutiennent généralement leur professeur, pour les parents c’est parfois plus compliqué. « Je me suis fait littéralement tomber dessus par un délégué parent en plein conseil de classe. Il m’a reproché mon absence, comme si les heures manquées étaient une volonté de ma part, et ce en présence de mon chef d’établissement, qui n’a pas prononcé un mot pour me soutenir… C’est le petit délégué qui a pris ma défense en disant que ce n’était pas ma faute si j’avais été malade et que la remplaçante n’était jamais venue », se souvient Henriette.
Certains enseignants en viennent même à ne pas prendre leur arrêt de travail pour ne pas pénaliser leurs élèves. C’est le cas de Lucie, professeur de français, certifiée LCA depuis 2018, qui devrait être arrêtée pour une tendinite au poignet droit et un tennis elbow depuis août. Elle continue d’enseigner faute de remplaçant. « Impossible pour moi de ne pas assurer le minimum. Les élèves volontaires, ils sont nombreux, notent au tableau certaines informations et points essentiels. Je projette ce que je peux depuis l’ordinateur, temps pendant lequel je suis scotchée au bureau sans possibilité de les aider », confie-t-elle. Et encore, pas de baccalauréat à préparer pour ces élèves. Lorsque c’est le cas, parfois, pour les lycéens, les enjeux et conséquences sont encore plus lourds.
le témoignage de Lucie est hallucinant, on a une personne qui va travailler avec un problème de santé sérieux, je serai son chef ça serait retour direct à la maison…C’est n’importe quoi, Lucie si tu me lis, t’es une imbécile, c’est totalement anti professionnel, si il y a un problème et que ta condition physique t’empêche de bien bosser, reste à la maison, c’est pas ton problème le non remplacement des profs et tes élèves ne vont pas en mourir…
je suis vraiment inquiet de cette éducation nationale et de certains profs…
@Jean
Le chef de Lucie est sûrement très heureux que les cours soient assurés. C’est parce que la majorité des enseignants oublient perpétuellement leurs droits que le système fonctionne encore vaille que vaille. Les enseignants sont les seuls salariés sans médecine du travail, les seuls salariés dont les heures sup obligatoires sont payés moins cher que les heures normales, les seuls fonctionnaires dont les indemnités de mission ne couvrent pas leurs frais, les seuls salariés qui n’ont pas vu la couleur de la réduction du temps de travail depuis quarante ans, les seuls fonctionnaire dont le salaire réel baisse depuis la même époque.
Clairement, la France a fait le choix de l’ignorance. Nous allons tous le payer.