Vous venez de publier un communiqué pour vous réjouir du report d’un an de la mise en œuvre des nouvelles modalités des formations des enseignants . Vous semblez toutefois pessimiste pour la suite.
Il y a eu un report certes, mais pour faire quoi ? S’il s’agit, au final, d’appliquer le projet initial, à quoi bon ? Nous souhaitons une véritable concertation afin que ce projet soit amendé. Notre première demande, c’est la mise en place d’une véritable concertation sur le sujet. Nous croyons bien sûr toujours au dialogue social, mais pour l’instant les signaux que l’on a reçus du ministère ne vont pas dans ce sens.
Quels sont les aspects du projet qui vous dérangent le plus ?
Le principal reproche est la réduction de la place du savoir scientifique et donc la plus faible importance qui est accordée à la maîtrise des connaissances disciplinaires dans les concours enseignants du second degré. Et celle-ci va de pair avec la part plus conséquente qui est donnée à l’évaluation des compétences pédagogiques (ou non). Certaines seront d’ailleurs difficilement évaluables à l’oral or, les épreuves orales vont compter pour 70 % de la note finale. Nous avons du mal à voir la pertinence de cette approche. Je ne minore pas l’importance de la formation pédagogique, mais le projet actuel n’est pas équilibré. Le recrutement devrait d’abord se faire sur la base d’une maîtrise des connaissances disciplinaires. Un professeur doit, par définition, en savoir plus que ses élèves, mais aussi plus que ce que demande le programme. C’est à cette condition que nous pouvons avoir un enseignement de qualité. Par ailleurs, le ministère prévoit dans sa réforme une année de Master 2 qui va tout mélanger, tout concentrer, pour les futurs enseignants : préparation au concours, mémoire et travail devant les élèves puisque cette année doit se dérouler en alternance. Cela risque d’en décourager beaucoup.
Sur un autre sujet d’actualité, certains appellent à boycotter les E3C. Se mettre dans l’illégalité, est-ce le seul moyen d’être entendu ?
Nous ne souhaitons pas que nos collègues se mettent dans l’illégalité, mais nous avons signé une motion dans laquelle nous invitons les enseignants et enseignante de SES à ne pas participer à la mise en œuvre des 3EC en avril et mai. Nous les invitons aussi à rejoindre l’intersyndicale. C’est à nous tous de réfléchir dans un cadre collectif, associatif et syndical de la meilleure manière de lutter contre ce nouveau système qu’on veut nous imposer. Celui-ci est très clairement inégalitaire, ce que nous avons d’ailleurs dénoncé – et tenté de prévenir – depuis plus d’un an. Nous avons participé à toutes les réunions auxquelles nous avons été conviés, nous avons alerté plusieurs fois le ministère, mis en place des pétitions, lancé des communiqués… Plus récemment, à travers une enquête menée à la rentrée, nous avons produit un retour de terrain et des statistiques objectives qui montrent la détérioration de nos conditions de travail. Ainsi, chaque professeur a environ 20 % en plus d’élèves à suivre. Tous constatent également un éclatement du « groupe classe » en première (dû aux Spécialités), qui nuit à la dynamique des classes et à la cohésion du groupe. Cela rend l’enseignement plus compliqué.
La baisse du nombre de candidats au concours de l’enseignement n’est pas nouvelle, mais les sciences économiques et sociales en furent longtemps assez épargnées. Ce n’est plus le cas avec -22 % de candidats entre 2019 et 2020 selon un décompte du SNES fourni au Monde. Comment l’expliquez-vous et que préconisez-vous ?
D’abord, structurellement, le métier attire moins. Mais les SES restent l’une des disciplines préférées des lycéens et nos collègues sont toujours aussi investis et impliqués. Il faut s’en réjouir. La baisse que vous évoquez peut, sans doute, en partie s’expliquer par les nouveaux programmes qui remettent en cause l’identité de la discipline. Nous déplorons notamment la séparation entre l’économie et les autres sciences sociales et préconisons une approche par objets d’études. Celle-ci permet de croiser et de lier les différentes sciences sociales entre elles. Nous dénonçons aussi le manque évident de pluralisme scientifique. Cela a été porté à travers une pétition signée par plus de 500 universitaires et chercheurs en économie et en sciences sociales, tels que Thomas Piketty, Jezabel Couppey-Soubeyran, Florence Jany-Catrice, Christian Baudelot, Michel Aglietta… Cette remise en cause de l’identité de la discipline contribue à une perte de sens du métier de professeur et donc à son attrait.
Vous évoquiez à l’instant le manque de pluralisme. Est-ce, avant tout, la vision trop « libérale » des programmes que vous dénoncez ?
Pas uniquement. C’est aussi le manque de pluralisme des théories, des débats, des auteurs ou encore des grands enjeux du siècle. En classe de seconde, par exemple, les élèves n’étudient plus la consommation ou le pouvoir d’achat. Nous observons aussi une réduction du traitement des enjeux environnementaux par rapport aux anciens programmes. D’une manière plus globale, peu de place est accordée aux débats sur les modèles productifs et les modèles de consommation.
En conclusion, qu’attendez-vous aujourd’hui du ministère ?
Notre boussole, c’est l’intérêt des élèves et les conditions de travail des collègues. Les deux sont étroitement liés, ce que les décideurs oublient souvent. Nous aimerions que soit prise en compte l’expertise du terrain et que des aménagements significatifs de ces programmes soient mis en place au plus vite pour la rentrée prochaine. L’école doit continuer à remplir son rôle à la fois de formation des citoyens et, pour la matière qui nous concerne, doit offrir aux élèves une meilleure compréhension des enjeux économiques sociaux du siècle. Des défis très importants nous attendent en termes de mode de production, de consommation et bien sûr d’environnement. Il faut pour cela des professeurs bien formés et ayant plaisir à enseigner.
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