Dans la classe de petite section de maternelle, un professeur prend l’élève qui discute par le col de son manteau et le remet dans le rang. Un autre enseignant tape sur la tête d’un enfant avec le cahier pour lui signifier de se remettre au travail. En CP, la professeure crie sur l’élève turbulent de la classe Ulis et, excédée, finit par lui donner une fessée dans le couloir… Confrontés à des conditions de travail difficiles, à des classes surchargées, à des enfants qui répondent, qui souffrent de troubles du comportement, les professeurs, bien qu’ils aiment leur métier et leurs élèves, recourent parfois à la violence. Un phénomène qui ne date pas d’hier… Jacques, 70 ans, se rappelle ainsi de son maître qui frappait les doigts des enfants avec une baguette quand ils se trompaient. Delphine, la trentaine, elle, se souvient de son professeur de CM2 qui lançait des craies et parfois même des brosses en bois sur les élèves pour qu’ils écoutent ou bien encore de son professeur d’histoire-géographie qui donnait des coups de pieds aux fesses et tirait les oreilles des collégiens qui n’écoutaient pas…
Des faits plus rares qu’avant
Pour Benoit Galand, professeur au sein du Groupe Interdisciplinaire de Recherche sur la Socialisation, l’Education et la Formation (GIRSEF) à l’Université Catholique de Louvain et co-auteur de « Prévenir les violences à l’école » (éd. Puf), ces châtiments étaient plus banalisés autrefois. « On en parlait peu auparavant car ces punitions étaient tolérées à l’école comme dans les familles. Mais la société a évolué ». Désormais, ces faits sont devenus plus rares et les enseignants sont beaucoup moins violents. « Dans son livre « Discipline et punitions à l’école » (éd. Puf), Bernard Douet recensait 14,7% de maîtres qui disaient avoir donné une fessée à un élève en 1983 et 44,2% des enseignants qui disaient savoir que ça se pratiquait dans leur école. 95% des élèves de CP et 34% des CM2 confiaient avoir été témoins de telles pratiques. « Dans les dernières enquêtes de victimation que j’ai menées à partir de 2011, on est très largement en-dessous. C’est beaucoup plus rare même si c’est très clairement illégal et que ça a des conséquences sur les enfants », déclare Eric Debarbieux, professeur émérite de sciences de l’éducation à l’université Paris Est Créteil et auteur de « L’école face à la violence » aux éditions Armand Colin. Ainsi, dans l’enquête de victimation et climat scolaire auprès d’élèves du cycle 3 des écoles élémentaires publiée en 2011, ce sont 5,5% des élèves qui déclaraient avoir été frappés occasionnellement et 1,7% souvent ou très souvent. Le spécialiste reconnaît que les violences psychologiques sont nettement plus difficiles à mesurer car les enfants en primaire n’en ont pas forcément conscience. Toutefois, il faut tenir compte de ces dérives qui même si elles sont marginales ont de réelles répercussions sur les enfants. « Elles peuvent entraîner une démotivation, de la dépression, de la phobie scolaire. On parle beaucoup de harcèlement entre élèves mais quand il provient de l’enseignant qui est censé être source de sécurité, d’autorité responsable, ça provoque un désarroi chez l’enfant », souligne Benoit Galand.
Une trop forte pression
Les relations entre élèves et enseignants sont parfois très dures et difficiles à gérer. L’accès au savoir s’est démocratisé ; l’enseignant a perdu de son aura et de son autorité. Les parents se montrent plus critiques, remettent sa parole en doute devant leur enfant. La société et la hiérarchie elle-même participent à cette dévalorisation du métier. Or pour Eric Debarbieux, l’autorité n’est pas naturelle, elle se construit institutionnellement au sein de l’équipe. Et puis les exigences se sont accrues. « Il y a une forte pression sur les enseignants pour que les élèves performent. Les attentes ont augmenté et l’employabilité passe par une réussite scolaire. On a un peu chargé la barque de l’école et les enseignants sont parfois à la limite du burn-out », réagit Benoit Galand. Par ailleurs la formation initiale et continue pose question. Les professeurs ne savent pas comment réagir face à des élèves difficiles, à besoins spécifiques, avec des troubles de l’attention, de l’hyperactivité ou autre. Les conseils souvent trop généraux reçus en formation ne répondent pas à leurs problématiques sur le terrain ni à leur besoin d’accompagnement de proximité.
Il faut sanctionner l’enseignant
Ce sont souvent les parents qui signalent ces violences. Les enseignants sont parfois soutenus par leur hiérarchie ou, plus rarement, agissent avec un sentiment d’impunité. Dans les établissements, la loi du silence règne parfois. Il importe pourtant de réagir. « La gestion des conflits, c’est la première chose qui est demandée par les profs dans mes enquêtes. Craquer ça peut arriver à tout le monde mais il faut pouvoir trouver de l’aide, des formations, des collègues à qui parler, et non pas s’enfermer dans sa classe », lance Eric Debarbieux. Il n’y a pas une solution type et les cas varient selon l’équipe éducative, le contexte institutionnel, l’âge des élèves… « Beaucoup d’enseignants pensent qu’il suffit de punir les élèves or c’est souvent parce qu’on punit que la violence augmente. On manque de formation en discipline positive. A Créteil, en y sensibilisant les équipes, on a divisé par dix le nombre d’élèves exclus en classe. Quand ferons-nous le choix de la prévention ? Un centre d’éducation pour un ado c’est 500 à 600€ par jour. L’enfant a peu de chance de s’en sortir car l’effet de groupe augmente la violence. Ce sont des solutions qui n’en sont pas. Il y a des choix politiques à faire sur le long terme », argue Eric Debarbieux. Pour Benoit Galand, cela passe par la formation, l’accompagnement des enseignants sur le terrain pour développer des stratégies, leur donner des outils de gestion du stress et de crises… « C’est aussi un enjeu de normes professionnelles, de culture à créer dans les équipes. On ne doit pas juste parler de la dernière bêtise mais des pratiques qui marchent ou pas. Et il faut pouvoir sanctionner les abus de certains enseignants, pas juste être dans la prévention, si l’on veut être crédible. Les chefs d’établissement sont souvent désemparés et le phénomène continue année après année », ajoute Benoît Galand. Si c’est le rôle de l’inspection de réagir, c’est aussi avant ça celui de l’équipe éducative.
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