Vous avez un parcours atypique et riche. Pouvez-vous revenir dessus ?
Je suis née en Bretagne en 1949 et j’ai grandi dans l’idée qu’une femme pouvait faire ce qu’elle voulait de sa vie. J’ai commencé ma carrière en tant que psychologue clinicienne. Et j’ai suivi mon mari, chercheur en agronomie, au gré de ses déplacements. D’abord en Guyane pendant dix ans, où j’ai participé à la mise en oeuvre du secteur de psychiatrie. Je me suis rendu compte qu’il s’écoulait un temps précieux avant que l’on ne m’adresse les enfants en difficulté et que ça entamait leur chance de réussite. J’ai alors eu envie d’agir au plus près d’eux. Et quand nous avons déménagé au Cameroun puis en Guinée, je me suis mise en disponibilité pour enseigner en grande section dans les école françaises en tant que contractuelle. J’ai ensuite suivi mon mari au Vietnam et là on m’a demandé d’enseigner à des CM1-CM2. Mais on ne s’improvise pas enseignant.
Vous avez donc décidé de revenir en France, en 1994, pour intégrer un IUFM après avoir passé le concours de professeur des écoles…
Oui. Nous y sommes revenus un an avant de regagner le Vietnam. Puis, j’ai été enseignante remplaçante à la Goutte d’Or à Paris et ensuite psychologue scolaire dans le 19ème arrondissement, puis en Guyane et en Guadeloupe. Partout j’ai expérimenté ce que j’avais inventé comme pistes pour que les professeurs puissent enseigner, avec ce double regard d’enseignant et de psychologue.
Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire ce livre ?
J’avais envie de voir ce qu’on avait fait ou pas, et à quel moment, pour ces élèves, et ce qu’ils étaient devenus. J’ai repris trois cents dossiers. On n’a plus entendu parler d’une grande majorité d’élèves signalés avant la Grande section, lorsque les parents se sont investis, sauf en cas de problème grave ou médical. Mais pour ceux qui n’étaient pris en charge qu’au CP, CE1, les problèmes perduraient davantage. J’ai voulu à travers le récit de ces cas montrer aux professeurs, aux psychologues, aux parents les résultats de ce que nous avions entrepris durant ces années pour que chacun comprenne l’importance qu’il y a à agir pour ces enfants en difficulté.
Comment procédiez-vous pour les repérer ?
Lors de mes synthèses avec les professeurs, à la rentrée, je leur demandais de lire la liste des noms de leurs élèves et de me dire un mot sur chacun d’eux. Quand ils répondaient « celui-ci ne me dérange pas. Il répond juste quand je l’interroge », alors je me disais que ça méritait que j’observe ça de plus près en classe. Je regardais si l’enfant avait des échanges avec ses camarades, comment il se comportait. S’il se battait tout le temps avec tout le monde, c’était peut-être parce que c’était son tempérament, ou parce qu’il ratait un exercice, ou que l’enseignant le grondait. Je demandais aussi au professeur de voir avec les parents comment il était avec eux à la maison.
Cette attention pouvait alors se poser autant sur un enfant trop réservé qu’un agité ?
Oui. Un enfant qui s’arrange pour se faire rejeter par l’enseignant, ce n’est pas normal. En général, il veut qu’on dise de lui qu’il est un bon élève. Mais si à la maison, par exemple, sa seule manière d’attirer l’attention c’est de faire des bêtises et de se faire battre, il cherchera le contact par ce biais aussi avec son professeur. On ne peut pas passer à côté de ces problèmes.
Dans la cinquantaine d’anecdotes que je raconte dans le livre, une dizaine concerne des enfants que les professeurs trouvaient intelligents mais dont les troubles du comportement étaient trop importants pour diverses raisons : problèmes familiaux, psycho-affectifs, haut potentiel, TDAH…
Vous avez à la fois été psychologue et professeure des écoles. Quelle est la marge de manœuvre pour aider les élèves en difficultés dans ces deux fonctions ?
Les professeurs ont de plus en plus de travail. Ils ont progressé sur la gestion des émotions, la métacognition… On ne leur demande pas de faire un travail pour lequel ils ne sont pas formés. Mais ils peuvent se rendre compte que quelque chose cloche chez un enfant et passer le relais au psychologue scolaire qui fait partie intégrante de l’équipe enseignante et a des relations avec la PMI*, le Rased**, le CAMSP***. Il peut remarquer si un enfant chute tout le temps, n’arrive pas à tenir son crayon… Son observation permet de ne pas banaliser cela et d’éviter de faire des signalements à la moindre petite question. La seule solution pour aider ces élèves en difficulté c’est le partage et la confiance entre les équipes et avec les parents.
En quoi le concours des parents est-il indispensable ?
Pour l’enfant, les trois années d’école maternelle sont en quelque sorte un rite d’initiation dont l’aboutissement est le passage au CP. On y sent souvent une belle relation entre les enseignants et les parents. Mais ça pourrait encore s’améliorer si les parents cessaient d’avoir honte ou peur quand leur enfant a un petit défaut moteur, ou de langage ou de comportement… L’enfant doit sentir qu’on n’a pas peur et qu’on va s’occuper de lui pour cesser d’avoir peur lui-même.
Il faut profiter de ce climat de confiance pour parler plus librement car un écart pris en charge tôt est comblé plus vite. On ne peut rien faire sans les parents. L’échange permet de montrer que ce que l’enfant fait à l’école l’aide à la maison et inversement.
Et au CP, le climat est différent ?
Les parents pensent que l’enfant va apprendre à y lire. Mais c’est inexact pour à peu près un tiers des élèves. Le psychologue doit être là à la rentrée pour leur expliquer que pendant trois ans l’enfant a appris à son rythme mais qu’au CP, il risque de ne pas entrer dans les apprentissages comme les autres car certains, par exemple, manquent de maturité. C’est d’ailleurs dommage que le nombre de maîtres G**** ait énormément diminué en 2011, car ils permettaient d’accompagner ces enfants. L’enfant qui entre au CP est candidat pour l’apprentissage de la lecture. Et si ses difficultés ont déjà été repérées en maternelle et prises en charge par une première visite chez l’orthophoniste ou le psychomotricien, il peut ne pas se trouver catalogué DYS en fin de CE1.
Au cours de votre parcours, vous avez travaillé avec Jean-Michel Blanquer, qui préface d’ailleurs votre ouvrage. Que lui diriez-vous pour améliorer encore la prise en charge des élèves en difficulté ?
J’ai travaillé deux ans avec Jean-Michel Blanquer lorsqu’il était Recteur en Guyane. Il faisait confiance aux enseignants, aux élèves. Il tenait compte de leurs réponses. Je l’ai rencontré au sujet de mon livre. Nous avons reparlé des écoles du fleuve en Guyane. Il avait soutenu le projet des médiateurs culturels des écoles bilingues, comme les études visant à créer des structures d’aide aux élèves. Beaucoup ont vu le jour, mais les postes restent vacants. Nous avons aussi parlé de la métropole. Je lui ai suggéré que les psychologues scolaires aient deux à trois semaines de formation en orthophonie et en psychomotricité dans leur cursus pour mieux détecter ces problèmes. Je lui ai aussi dit que les psychologues scolaires pourraient être en maternelle exclusivement jusqu’à Noël, et aussi bien sûr pour quelques situations difficiles en élémentaire.
J’ai la sensation avec ce livre de mettre la dernière pierre en haut d’une pyramide. Tous ces enfants, ces personnes rencontrées autour de la souffrance à l’école ont participé à la construction de celle-ci et je les en remercie.
*Protection Maternelle Infantile
**Réseau d’aide aux élèves en difficulté
***Centre d’Action Médico-Sociale Précoce
**** Enseignant spécialisé qui fournit une aide rééducative
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