Depuis le 18 mai, date du retour de 10 % des élèves de l’école Brassens de Bruay-sur-l’Escaut (Nord), Faustine Ottin, la directrice, « bricole ». Cette déléguée syndicale SNUipp-FSU ne compte plus le nombre de fois où elle a réécrit son protocole d’accueil, « toujours dans la bonne humeur, avec self control et en gardant le sens de l’humour ». Comme tous les personnels de direction, elle ne compte plus ses heures. Ces dernières semaines, elle passe 100 % de son temps à la direction, là où sa décharge syndicale et sa fonction d’élue du personnel l’amènent normalement à détacher un quart de son planning à ces activités. Même son de cloche en Seine-Saint-Denis où Karim Bacha, directeur d’une école maternelle et élémentaire, et représentant SNUipp-FSU 93, est contraint à « l’à peu près ». « D’un côté, on nous parle de gestes barrières ; de l’autre, on nous demande d’accueillir tout le monde. Nous ne pouvons pas renseigner clairement les parents qui s’interrogent », s’agaçait-il jeudi dernier, quelques heures avant de communiquer sur le nouveau protocole sanitaire et les conditions d’accueil en vigueur depuis ce lundi 22 juin.
Au collège Missy de La Rochelle, Audrey Chanonat, membre de l’exécutif national du SNPDEN-Unsa et principale adjointe, continue d’agir « dans l’urgence et l’attention permanente ». Elle qui accueillait jusqu’à présent à peine la moitié de ses élèves, s’est interrogée jusqu’au dernier moment sur le retour possible de tous ses collégiens. « Nous souhaitons bien entendu tous les accueillir, mais cela est difficile à mettre en place dans des laps de temps très courts. Le temps des annonces n’est pas le temps de fonctionnement des établissements », explique-t-elle. En Charente-Maritime, après avoir géré de « très nombreux appels de parents parfois inquiets », les emplois du temps ont été aménagés pour limiter au maximum le nombre d’heures d’études et les déambulations.
80 % pour la rentrée de septembre
Au lycée, où le retour n’est pas obligatoire, Sylvie Perron, ancienne proviseure du lycée Robert-Schuman, à Charenton-le-Pont (Val-de-Marne) et secrétaire fédérale en charge des personnels d’encadrement au Sgen-CFDT, ne doute pas que les enseignants vont redoubler de « bonnes idées et pratiques » pour aller plus loin dans l’acquisition de connaissances. Comme ils l’ont fait jusque là. « Les professeurs ont beaucoup travaillé, ils ont produit davantage et différemment pour maintenir la continuité pédagogique. En présentiel, ils vont pouvoir retrouver les interactions qui portent leurs cours », se réjouit-elle, sans gommer les potentielles difficultés rencontrées. Comme tous, elle accueille favorablement ce retour à l’école : « La seconde est une classe d’orientation, un pilier. Il fallait qu’on revoie les lycéens pour construire leur parcours. En première, l’oral de français ayant fort heureusement sauté, il nous faut nous concentrer sur l’essentiel. Les élèves vont abandonner une spécialité pour n’en garder que deux. Quant aux terminales, nous devons être avec eux jusqu’au bout. Leur parcours n’est pas terminé. »
Faustine Ottin, à la direction depuis deux ans, voit pourtant ses collègues déchanter. « Certains vont quitter la profession. Ils ne s’imaginaient pas que leur bac + 5 déboucherait sur cet exercice. » « On est fatigués, très fatigués. Ces dernières semaines, nous nous attelons à de nouvelles tâches pour former les groupes, organiser le matériel, communiquer avec les enfants, les parents, les enseignants, les inspecteurs, les élus, en pleine campagne municipale… Nous devons mener tout un tas de nécessaires confrontations pour expliquer, rassurer », assure Karim Bacha qui a redéployé son école sur toute sa surface, quand, à la mi-mai, il avait décidé de concentrer ses classes au rez-de-chaussée pour faciliter le respect du protocole. En quelques jours, il s’est attelé à re-mutualiser les feutres, crayons, livrets… jusqu’alors individualisés selon les consignes. Désormais entouré de tous ses collègues in-situ, il est certain que ces quinze prochains jours seront « agréables ». Il s’estime toutefois épargné : pas d’ouverture ni de fermeture de classe à gérer dans un calendrier scolaire inchangé, lui qui juge avoir un mois de retard sur les tâches qu’il assure normalement à cette époque de l’année. « 80 % de notre boulot de directeur au mois de juin est normalement consacré à la rentrée de septembre. Ce sont deux mois charnières », garantit-il. Au programme : l’organisation des classes, parfois de doubles ou triples niveaux ; la préparation de l’accueil de nouveaux collègues, de nouveaux élèves ; la répartition des enfants au terme de nombreuses « réunions, réflexions, concertations, tractations, discussions… ». Il doit aussi anticiper les déménagements de salle, passer les commandes, sans avoir d’information quant au budget qui lui sera alloué, élections municipales obligent…
Ajuster sans cesse le quotidien
« On ajuste le quotidien, et en même temps on doit organiser la rentrée », confirme, lasse, Faustine Ottin, qui doit elle préparer l’ouverture d’une classe au titre du cycle 3.
« J’attends 45 nouvelles inscriptions, je n’en ai que 30 ». « Certains parents n’ont pas pu réfléchir à la scolarisation de leurs enfants. Aucun de mes élèves ne CM2 ne s’est orienté vers une sixième à option. J’en ai habituellement cinq ou six qui choisissent des classes natation, judo… Les parents n’ont pas pu se renseigner, discuter », explique Karim Bacha. Même discours du côté du collège Missy de la Rochelle, où les parents des futurs élèves de 6e n’ont pas pu être reçus physiquement dans l’établissement. « Aurons-nous à la marge des maintiens en CM2 ? Quel pourcentage de parents vont se diriger vers le privé ? », s’interroge Audrey Chanonat qui ouvrira une classe supplémentaire de sixième en septembre, et doit donc faire remonter son tableau de répartition des moyens.
Jusqu’à la fin de l’année scolaire, elle va remettre son établissement en ordre de marche, « toujours avec pragmatisme et humanité », tout en enchaînant les conseils de classe et en menant parallèlement les opérations de rentrée. « La toute dernière semaine, nous avons habituellement moins d’élèves et nous pouvons en profiter pour organiser des conseils pédagogiques, et réunions d’équipe pour préparer les dispositifs de l’année suivante », souligne-t-elle, en s’interrogeant encore : Comment déterminer les modalités de fonctionnement pédagogiques sans pouvoir identifier les effets du confinement sur les acquis scolaires ? Et « sans avoir le temps » de réfléchir à ces mises en place. « On va le faire, comme d’habitude sur des temps supplémentaires », glisse-elle en assurant que « la rentrée se fera, car la priorité ce sont les élèves ».
Donner du sens à la reprise
L’une des injonctions du ministère est bien de repérer aujourd’hui les élèves qui auraient besoin de « vacances apprenantes ». Mais pour cela, le SNPDEN-Unsa demande des moyens humains supplémentaires pour définir des protocoles d’accompagnement. « Il nous semble important de donner du sens à cette reprise en préparant la rentrée suivante. Nous devons accompagner les élèves, faire un état des lieux des choses qu’ils vont peut-être devoir préparer pendant les vacances, sans nous. Les quinze prochains jours, nous n’allons pas reprendre un emploi du temps traditionnel, nous devons donner du sens à ce retour à l’école et accompagner le parcours du jeune », certifie Sylvie Perron, avant de poursuivre : « Le temps perdu ne se rattrape jamais, mais peut être compensé. On est là pour attendre les enfants et mettre en place des ingénieries pédagogiques afin qu’ils acquièrent des compétences. »
Dans le premier degré, Karim Bacha s’interroge sur la manière de « récupérer » ces lacunes pédagogiques. « Nous devons réfléchir sur la base d’hypothétiques états, nous qui n’avons peut-être pas encore complètement digéré le confinement… »
A Bruay-sur-l’Escaut, Faustine Ottin ne peut imaginer la rentrée de septembre autrement que « normalement ». Elle a d’ailleurs déjà fait appel à un groupe de musique qui viendra animer la journée du 1er septembre, puis imaginé des projets culturels. Un flash-mob notamment, qu’il sera même possible de réviser à distance ! « Pour que tout le monde fasse guinche, comme on dit dans le Nord ! »
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