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La formation des enseignants sera de nouveau réformée à la rentrée 2021 dans le cadre de la loi Blanquer pour « l’école de la confiance ». Pierre Merle, professeur de sociologie, professeur d’université à l’Institut National Supérieur du Professorat et de l’Education (INSPE) de Bretagne, vient de signer une analyse du sujet sur le site La vie des idées.


Selon vous, la formation des enseignants méritait d’être réformée. Pourquoi ?



Elle n’était pas pleinement satisfaisante aux yeux des professionnels, des professeurs stagiaires et des étudiants en Master MEEF (Métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation). Actuellement, les épreuves du CAPES ont lieu entre mars et mai dans l’année de M1 (Master 1) alors que les étudiants débutent la formation en septembre et effectuent un stage de 5 semaines dans ce laps de temps. Dans cette situation, la préparation était trop courte, insatisfaisante et entraînait des abandons. Les professeurs stagiaires en M2, quant à eux, devaient assurer 9h de cours par semaine tout en préparant un mémoire alors que beaucoup découvrent les difficultés de l’enseignement. Certains mémoires étaient de qualité très moyenne car les professeurs stagiaires manquaient, faute de temps, d’observations pédagogiques et n’avaient pas toujours une connaissance suffisante de la littérature scientifique… Je ne sais pas s’il existe une préparation idéale mais l’actuelle formation des enseignants méritait d’être revue.

En quoi cependant cette nouvelle réforme ne vous semble pas adéquate ?

Elle me paraît encore plus critiquable que la précédente car elle reprend la réforme du ministre Darcos qui plaçait lui aussi le concours du Capes en deuxième année. Cette réforme avait abouti à une crise du recrutement. Elle repoussait l’obtention du statut de professeur à la fin du master 2 et les étudiants devaient travailler deux ans de manière très soutenue pour avoir le concours. L’attractivité du métier pâtissait de ces mauvaises conditions de préparation. C’est peu logique de reprendre une réforme qui avait débouché sur plus de problèmes que d’avantages.

Pourquoi alors, selon vous, le ministre reprend-il cette organisation ?

Parce qu’il répond à une logique gouvernementale qui consiste à réduire le nombre de fonctionnaires. C’est une promesse de campagne qui a été faite. La réforme atteint cet objectif puisque les M2 ne seront plus professeurs stagiaires et donc fonctionnaires mais étudiants stagiaires. Ce décalage d’un an représente environ 10 000 fonctionnaires de moins et des économies à la clé. Jusque-là les professeurs stagiaires en M2 avaient, en effet, une moitié d’activité d’enseignement payé à temps plein (environ 1400€ net mensuel). Avec la réforme, les étudiants stagiaires enseigneront à tiers-temps en étant nettement moins bien rémunérés.

La nouvelle réforme accordera une plus grande pratique sur le terrain pour les étudiants…

Oui, le ministre invoque le fait que la formation actuelle n’est pas assez concrète. C’est un argument qui peut se défendre. Mais les inconvénients sont plus forts que cet avantage. Les étudiants de M2 qui passeront trop de temps à préparer leurs cours risquent d’être pénalisés pour avoir le concours. Et puis, faut-il encore être sûr que l’encadrement soit suffisant. Les étudiants sont souvent envoyés là où on a besoin de profs, où il y a des absences longues durées. Les conditions d’enseignement et d’encadrement pour ces M2 ne seront pas forcément bonnes.Il ne suffit pas d’enseigner pour apprendre le métier !

Le ministère entend proposer des parcours plus attractifs pour entrer dans le métier, notamment avec la création du contrat de préprofessionalisation*. Qu’en pensez-vous ?

Il y a un paradoxe à vouloir que les futurs professeurs maîtrisent les savoirs fondamentaux et de solliciter des étudiants en L2 (2ème année de Licence, Ndlr) et L3 (3ème année de Licence) dont les connaissances sont souvent sommaires. Dès la L3, ils devront co-intervenir avec l’enseignant dans la classe. Tous ceux qui forment les futurs professeurs partagent le même constat : la grande majorité des étudiants en M1 est très en-dessous d’un niveau convenable pour être professeur… Il y a un affaiblissement de la sélection à l’université. Or, la réforme dégrade sensiblement  les conditions de formation. Le nombre de candidats au professorat va se réduire et le niveau va encore baisser.
Pour ces étudiants en préprofessionnalisation, il faudra faire un bilan, dans deux ou trois ans, afin de savoir si ce contrat leur a été profitable. Mais il existe une règle générale : avoir un travail salarié à côté de ses études diminue les chances de réussite. La préprofessionnalisation est un travail en plus du cursus universitaire et occupera tout de même ces étudiants 8 heures par semaine ! Je crains que la logique immédiate de main d’œuvre disponible dès la L3 se fasse au détriment de la formation académique.

En 2022, les épreuves des concours (CAPES, CAPEPS, CRPE, CAPET, CAPLP) seront également modifiées, l’oral académique annulé. Il n’y aura plus qu’une seule épreuve écrite pour apprécier les connaissances du candidat dans sa discipline…

C’est un recul considérable, notamment pour évaluer les futurs professeurs en langue vivante étrangère. L’oral permet de voir si le candidat fait des fautes grammaticales, lexicales, a des défauts de prononciation, un mauvais accent… Dans ce nouveau concours,  ce niveau de compétences ne pourra plus être évalué. C’est un vrai problème. Dans d’autres disciplines, comme le Capes de sciences économiques et sociales par exemple, l’oral permettait de formuler des questions que les élèves risquent de poser au futur professeur. De nouveau, les membres du jury ne pourront plus évaluer cette capacité des candidats à répondre rapidement à des questions inattendues.

Et le fait de remplacer cet oral académique par un oral évaluant « sa motivation, sa connaissance de l’environnement et des enjeux du service public de l’éducation, sa capacité à incarner et verbaliser les valeurs de la République et se positionner en fonctionnaire » vous parait-il pertinent ?

Oui, les professeurs doivent savoir ce qu’est la laïcité, quels sont les droits et devoirs des élèves et des enseignants, etc. L’évaluation de ce type de compétences avait été introduite par le ministre Darcos. A l’époque, une partie de l’oral académique comportait aussi des questions sur ces compétences mais le jury ne les posait pas toujours. Dans la nouvelle organisation, elles seront forcément évaluées.
Mais il faudrait que l’évaluation de ces notions soit plus encadrée, par exemple centrées sur les connaissances juridiques, car les questions abordées sont polémiques et le risque d’une évaluation contestable est possible. Quant à la motivation, un étudiant qui s’engage dans un métier mal payé, avec un concours difficile, est forcément motivé. Les professeurs sont trop souvent suspectés d’être plus motivés par les vacances que par leur travail. Dans le quotidien de la classe, il s’agit d’un métier exigeant et fatiguant que les professeurs, dans leur grande majorité, assurent consciencieusement en restant motivés par la réussite de leurs élèves.

Qu’auriez-vous préféré comme réforme ?

Il n’y a pas de formule simple. Il faudrait avant tout faire en sorte que l’institution scolaire soit plus attractive pour attirer davantage de bons étudiants. Le manque de candidats est un symptôme. Il faut agir sur les causes : mieux rémunérer les enseignants, ne pas envoyer les jeunes professeurs dans les établissements les plus difficiles, avoir moins d’élèves par classe… Ces problèmes essentiels ne sont pas assez, voire pas du tout, abordés par J.-M. Blanquer. Il a une feuille de route pour faire plus avec moins de fonctionnaires. Dans cette réforme, l’urgence du moment prime sur l’avenir.

 

*Dispositif proposé aux étudiants de la L2 au M1 : pendant 3 ans, ils seront 8h/semaine en école ou collège contre une rémunération (693€ net/mois en L2, puis 963€ en L3 et 980€ en M1).