Pouvez-vous revenir sur votre parcours ?
J’ai suivi des études pharmaceutiques à Limoges, orientées vers l’industrie mais surtout vers la recherche. Une fois ma thèse de Docteur en pharmacie obtenue, je me suis dirigé vers un doctorat en sciences, et plus particulièrement en neurosciences, que j’ai obtenu. J’ai ensuite été assistant hospitalier universitaire pendant quatre ans. Récemment, je suis devenu praticien hospitalier contractuel, avec une dérogation pour enseigner, et je continue la recherche.
Vous venez d’obtenir le Prix Casden du jeune chercheur pour vos travaux sur la cornée. Comment ce projet de recherche est-il né ?
En neurosciences, je m’intéressais aux neuropathies périphériques, c’est-à-dire aux atteintes des nerfs en périphérie. Pour comprendre les mécanismes d’action de ces pathologies, il aurait fallu avoir à disposition des nerfs humains pour les étudier. Sauf qu’il est impossible de les prélever chez une personne vivante ! Dans mon laboratoire d’accueil, le laboratoire 6309 Maintenance Myélinique et Neuropathies Périphériques à Limoges, nous avons utilisé une stratégie apprise à iStem, à Evry : faire « rajeunir » des cellules de peau en cellules souches pour qu’elles se comportent comme des cellules embryonnaires. Nous les avons ensuite fait maturer en cellules nerveuses.
Et le soir de mon pot de thèse, je discutais avec le docteur Yohan Benayoun, un ami ophtalmologue de la Clinique François Chénieux qui travaillait beaucoup sur la cornée, notamment la greffe de cornée. Nous parlions du problème majeur dans ce domaine : le manque de greffons. Selon un rapport de l’agence de biomédecine, en 2017, il y avait à peu près 5000 greffes de cornée et 9500 candidats. Son idée était de créer une cornée artificielle pour pallier ce manque de greffons, car actuellement ces derniers doivent être prélevés sur des personnes décédées. Et nous nous sommes demandé si, à partir des cellules de la peau, nous pouvions obtenir de la cornée au lieu des nerfs. Voilà comment le projet a démarré.
À quelle étape du projet en êtes-vous arrivés, et quelles sont les prochaines ?
La première étape était d’obtenir des donneurs sains, pour leur prendre un petit bout de peau. Nous avons ensuite « rajeuni » ces cellules de peau en cellules souches, pour obtenir que l’on appelle des cellules iPSC, qui sont identiques aux cellules embryonnaires sans tous leurs inconvénients. Vous savez qu’à l’heure actuelle, il est encore très épineux de travailler sur les cellules embryonnaires, car cela induit la destruction d’un embryon, avec toutes les questions éthiques qui gravitent autour de cela.
Une fois que nous avons rajeuni les cellules de la peau, nous les avons guidées pour leur faire acquérir toutes les caractéristiques des cellules endothéliales cornéennes (l’un des types de cellules qui composent la cornée). Nous avons réussi à obtenir des cellules qui avaient toutes les caractéristiques des cellules cornéennes, mais nous avions aussi des cellules qui exprimaient des marqueurs qui n’étaient pas ceux des cellules endothéliales. Il fallait donc purifier le mélange. Aujourd’hui, grâce à une machine qui permet de trier les cellules sans les altérer, nous sommes arrivés à un pourcentage de 80 % de cellules endothéliales, alors que nous étions auparavant à une proportion d’environ 50 50. Ce sont des résultats préliminaires, et nous essayons maintenant d’affiner ce tri pour arriver à une proportion de 100 %.
Quelles pathologies cette technique permettra-t-elle de traiter?
Nous souhaitons cibler les personnes qui ont un déficit de cellules endothéliales cornéennes. Ce déficit se retrouve notamment chez les patients atteints de la maladie de Fuchs.
Nous avons un nombre prédéfinis de cellules endothéliales cornéennes à la naissance, qui ne vont jamais se diviser, elles ne peuvent que dégénérer et mourir. Dans ce cas, la place va être comblée par la cellule d’à côté qui va se déformer. Mais au bout d’un moment, l’espace ne pourra plus être compensé, et il y aura des « trous » dépourvus de cellules. La cornée va alors s’opacifier, et l’acuité visuelle va diminuer. C’est vraiment ce type de pathologie là qui est visé dans notre projet.
En quoi cette nouvelle technique représente-t-elle une avancée pour la recherche dans ce domaine ?
Elle pourrait tout d’abord permettre de pallier le manque de greffons de cornée évoqué tout à l’heure.
Elle pourrait aussi diminuer le risque de rejet, puisque l’on utiliserait les propres cellules de peau du patient pour les faire rajeunir et les lui greffer. Elles ne seraient donc pas considérées comme un corps étranger.
Un autre problème parfois rencontré est que certains patients ont du mal à accepter le fait qu’on leur greffe la cornée d’une personne décédée. Notre technique réglerait également ce problème.
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