Pouvez-vous vous présenter ? Depuis quand enseignez-vous et où ?
Je m’appelle Virginie Shipley, je suis professeure de Sciences de la Vie et de la Terre au collège E.Chevreul, établissement REP de l’Häy-les-Roses depuis une dizaine d’année. Je m’occupe de classes de 4e-3e. C’est un choix d’enseigner dans l’éducation prioritaire. En début de carrière, j’ai été affectée en REP, et c’est un public qui m’a tout de suite conquise, auquel j’ai été sensible. Ce sont des élèves engagés, qui ont envie de comprendre, de changer les choses et d’être respectés, et j’ai une grande affinité face à ce type de demande. Après ça, je n’ai demandé que des affectations en REP.
En tant que professeure de SVT, je défends un accès à la culture, qu’elle soit littéraire, artistique ou scientifique. La motivation des élèves, leur envie de découvrir malgré un niveau de culture scientifique bas m’ont donné envie de m’y investir.
Vous êtes une personne à risque et faites cours en télé-enseignement. Pouvez-vous nous en expliquer les modalités ?
Je travaille en télé-enseignement synchrone (à l’heure de mes cours habituels) et asynchrone selon les cas. Dans mon établissement, il a été décidé de remodeler mon emploi du temps pour faire des visioconférences avec les élèves en dehors de leurs heures de cours, de la façon la plus optimale pour eux.
Le télé-enseignement est très différent de ce que j’avais connu en confinement. Il faut prendre en compte le fait que les élèves jonglent entre leurs autres cours – en présentiel – et un apprentissage autonome dans ma discipline. Il n’est donc pas possible d’organiser les cours comme lors du confinement, lorsque tout est à distance : c’est trop lourd pour impliquer les élèves.
Il nous a fallu, aux élèves et à moi un temps d’adaptation de quelques semaines pour avoir un fonctionnement fluide : c’est passé par des essais, des choix, de l’auto-réflexion et de l’auto-formation. J’ai remodelé au fur et à mesure le cours que j’avais prévu, en partant des messages des élèves et parents d’élèves, à qui je demandais un retour rapide sur ce qui se faisait. Aujourd’hui, nous avons un fonctionnement plus routinier et cohérent : du travail à faire sur 15 jours, que les élèves rendent par voie numérique (questionnaires, documents partagés…) et une visioconférence obligatoire chaque semaine pendant laquelle nous faisons des points de contrôle pour voir l’évolution de chacun.
Vous avez aussi une classe de troisième « prépa-métiers ». Avez-vous un fonctionnement différent avec eux ?
Cette classe a un cours de « sciences et technologie », que la professeure de technologie et moi co-animons dans le cadre du télé-enseignement. Elle est sur place avec eux, et je fais mon cours à distance. Avec eux, nous fonctionnons avec des outils numériques très guidés, passant auparavant par une phase orale et écrite.
Avec ma collègue, nous faisons des séances de préparation, pour décider du déroulé exact de la séance. Ensuite, elle me fait des retours du cours sur place, me dit à quoi les élèves ont été réceptifs ou non. Ce feedback m’aide beaucoup et me permet de replacer l’élève au centre de la démarche d’appropriation des savoirs scientifiques.
Lors du premier confinement, comment aviez-vous organisé la continuité pédagogique ?
Entre professeurs de sciences, nous nous sommes beaucoup entre-aidés. La première priorité a été le bien-être des élèves. Nous n’avons utilisé au début que des outils qu’ils connaissaient, pour éviter de creuser la fracture numérique entre eux. La première semaine, ils n’ont travaillé que sur papier, en prenant des photos de leurs travaux. Puis nous avons introduit d’autres outils, comme Tactileo, qu’ils avaient déjà utilisé en physique-chimie, ou la plateforme AgoraQuiz, qui fonctionne sous forme de jeu de questions/réponses posées par les élèves.
Pour potentialiser sur cette année particulière, nous avons voulu faire une vraie formation au numérique, créer une culture numérique commune et ainsi diminuer cette fracture. Tous les outils que nous avons travaillés, nous les avons généralisés aux sciences : Tactileo est maintenant utilisé dans plusieurs matières. Nous aimerions aussi faire des vidéos sur des situations déclenchantes, pour travailler la démarche intellectuelle, la conceptualisation et l’abstraction des idées : il y a peu de vidéos sur ces sujets.
Deux problèmes se sont posés, cependant : l’impossibilité de faire des travaux pratiques (toute la partie qui touche à l’observation du réel), et l’impossibilité de faire de la modélisation. Nous pensons constituer une banque de vidéos de travaux pratiques à la « première personne », du point de vue de l’élève, par exemple à l’aide d’une GoPro pour montrer les tâtonnements, la démarche expérimentale.
Avez-vous des plateformes préférées pour les cours à distance ?
J’ai recensé et testé beaucoup de plateformes différentes, sans trouver la plateforme idéale. J’ai certaines exigences dont la simplicité d’utilisation, l’optimisation sur différents appareils ou la protection des données personnelles (je suis référente numérique de mon établissement, et assez attachée à cette valeur.)
J’utilise donc plusieurs plateformes qui fonctionnent sans inscription, avec des pseudos (anonymes) pour chaque élève, que je connais.
Avez-vous observé du décrochage cette année ?
Dans notre d’établissement d’éducation prioritaire, certains collègues et nos CPE sont formés aux cas de décrochage. Ils nous ont donc aidés à les éviter au maximum. En période de confinement, nous avons identifié trois types d’élèves :
- Certains élèves ont été motivés par cette nouvelle autonomie : le fait de gérer seuls leur travail les a stimulés. La situation les a étonnement raccrochés.
- Il y a eu décrochage « affectif » : des élèves qui, par manque confiance en eux ou de contact avec l’école, étaient démotivés. Mais après les avoir eus au téléphone, nous arrivions en général à les raccrocher, à leur redonner envie d’apprendre.
- Nous avons eu quelques cas de décrochage pour cause de fracture numérique : cela a été le cas de 2 élèves sur 25 dans la classe dont je suis professeure principale. Heureusement, il existe des associations, que je remercie, qui fournissent du matériel et aident les élèves qui en ont besoin.
Le principal pour éviter le décrochage des élèves qui se sentent isolés, c’est de maintenir un contact humain, de s’assurer qu’ils vont bien en les contactant régulièrement. Certains peuvent avoir des problèmes à la maison, ne prendre qu’un repas par jour faute de moyens… Avec l’ensemble de la communauté éducative (CPE, assistante sociale, infirmière, direction…) du collège, c’est donc ce que nous avons fait.
Dès la réouverture du collège, quasiment tous les élèves sont revenus. Il y avait un réel besoin de se retrouver. Je me souviens d’un élève qui m’a dit :
« Le confinement m’a appris que j’ai du mal à apprendre tout seul, et qu’apprendre implique d’être avec l’autre ».
Quels changements et quelles difficultés l’enseignement à distance implique-t-il pour vous ?
Cela nécessite beaucoup de logistique et de communication : avec les élèves, avec les familles… Par exemple, j’explique toujours les résultats aux évaluations (ici nous fonctionnons par compétences, avec des pastilles de couleur.)
La principale difficulté de l’enseignement à distance touche au non-verbal. En classe, on ressent l’ambiance, on sait tout de suite si les élèves suivent, comprennent, en fonction de leur posture, de leur regard… En distanciel, on n’a pas ce retour-là, et il est difficile de les appeler un par un pour en savoir plus.
Avez-vous intégré la question du virus dans votre enseignement de SVT ? Par exemple au cours d’une sensibilisation aux gestes barrières, ou à la démarche scientifique ?
Lorsque nous avons appris le premier confinement, nous avons profité du dernier jour en présentiel pour faire un point sur la situation, le contexte sanitaire, et les gestes barrières.
Pour ce qui est d’aborder le sujet en classe, la question de la distance se pose : comment enseigner une situation de crise que nous vivons en ce moment, sachant que certains de nos élèves ou enseignants ont déjà ou vont subir les conséquences du virus ? C’est un sujet qui peut être difficile et anxiogène, il fallait prendre en compte la sensibilité de chacun.
Finalement, j’ai pris un « détour pédagogique » : j’ai abordé le sujet par le biais de l’éducation aux médias. Avec mes élèves, nous avons fait une grande recherche sur le traitement de l’information par les journaux : quels angles sont traités par quels médias ? Grâce à des webinaires du Clemi que j’avais suivis, je connaissais des jeux pour mettre les élèves à la place d’un rédacteur en chef ou d’un présentateur télé, par exemple. Ces exercices ont permis de leur apprendre à avoir une posture de chercheur et à développer leur esprit critique. Sous l’impulsion des travaux de La main à la pâte, nous avons aussi recensé les fake news qui circulaient autour du Covid, comme certaines solutions miracles. Je leur ai ainsi fait passer des notions scientifiques : mutation et émergence d’un virus, contagiosité, types de masques…
Dès la 6e, en sciences, nous faisons un travail sur les thèmes de la sécurité et de la santé. Cette année, cette « culture sanitaire » a été contextualisée.
Comment envisagez-vous la suite de l’année ?
Je ne sais pas du tout. Quand je suis passée en télé-enseignement, les virus émergents ne faisaient pas encore trop parler d’eux. A l’époque, on se disait avec mon médecin que la campagne de vaccination pourrait me permettre un retour en classe, mais aujourd’hui rien n’est sûr.
Je me concentre sur les objectifs que j’ai pour mes élèves : préparer mes 3e au brevet, et donner l’envie d’apprendre aux 4e, même si l’apprentissage n’est pas le même. J’essaye de leur apprendre à rester le plus positif et résilient possible, de leur donner des astuces pour vivre au mieux avec cette situation… en leur montrant par ailleurs que moi aussi, j’ai des difficultés et que je mets en œuvre des stratégies pour les résoudre.
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