Patrick Rambourg est un historien, enseignant et chercheur français, spécialiste de la cuisine et de la gastronomie. Il reçoit une formation de cuisinier professionnel dans la Sarthe avant de suivre un cursus universitaire en histoire à l’Université Paris 7 Denis Diderot (3e cycle). Il se spécialise d’abord sur la fin du moyen-âge et progressivement élargit son champ de recherche sur toute la durée historique. Ses recherches portent particulièrement sur l’histoire des pratiques culinaires et alimentaires, sur les usages de table, sur l’histoire de la cuisine et de la gastronomie françaises, sur le Paris alimentaire et gastronomique ainsi que sur les métiers de bouche. Il tient également une rubrique de gastronomie historique dans la revue Historia.
Vous êtes spécialiste de l’histoire des pratiques culinaires et alimentaires. Pouvez-vous nous parler de la cuisine française au 19e siècle ?
Il existe une très nette différence entre le début du 19e siècle et la fin du 19e siècle. La France a beaucoup évolué en un siècle : elle a notamment connu une succession de régimes politiques différents et a vu se développer les restaurants dans le quotidien des Français. Ce lieu est très important pour bien comprendre l’évolution de la société du 19e siècle et surtout les manières de manger à cette époque. En ville, le restaurant apparaît dans les années 1760 à Paris, d’abord pour les élites puis va s’étendre à l’ensemble de la population pour s’affirmer dans le courant du 19e siècle. Il va y avoir une diversité d’établissements : des restaurants populaires, bourgeois ou plus élitistes, d’abord à Paris, puis dans toutes les grandes villes de France pour s’étendre sur l’ensemble du territoire.
Le 19e siècle est un siècle de transformation et de modernisation au niveau de la table, de la cuisine mais aussi des façons de cuisiner. Plus nous avancions dans le temps et plus nous constations une simplification culinaire aussi bien dans les cuisines des restaurants que dans celles des maisons. La cuisine de rue, qui existait depuis des siècles, et où l’on vendait une nourriture prête à être consommée (légumes épluchés et taillés, plats préparés, etc.) va progressivement disparaître au profit du restaurant. Ce siècle a aussi vu l’affirmation de nouveaux modes de conservations alimentaires avec l’appertisation de Nicolas Appert, c’est-à-dire la stérilisation de denrées périssables dans des bocaux, puis dans des boîtes métalliques.
La cuisine française est à cette période une référence à l’échelle mondiale. Au début du siècle, Antonin Carême est une célébrité. Les chefs français sont adulés et nombre d’entre eux travaillent à l’étranger, dans de grandes maisons ou dans les cuisines des cours princières. Paris est alors la capitale de la gastronomie, et ses restaurants ont une réputation internationale.
Le 19e siècle est aussi le siècle de l’industrialisation. Pour l’ouvrier qui travaille durement et dans de grandes difficultés, la nourriture est à ce moment-là des plus modestes. La viande, synonyme de réussite sociale pour celui qui la consomme, est encore au début du 19e siècle un aliment rare pour une partie de la population. Souvent caractérisée comme une denrée de fête, elle trouvera progressivement sa place dans l’assiette de la majorité des Français vers la fin du siècle.
Que mangeaient concrètement les Français au 19e siècle ?
A cette époque, la différence alimentaire entre les groupes sociaux est peut-être moins marquée que dans les siècles précédents, du moins à la fin du 19e siècle, mais la table des plus aisées sera toujours mieux garnie que celle de l’ouvrier ou du paysan.
La différence résiderait notamment dans la consommation de la viande, plus importante chez les classes aisées. Mais dans la seconde moitié du 19e siècle, la viande ainsi que la charcuterie s’affirmeront vraiment à Paris. Le régime alimentaire principal des plus modestes tournait autour des végétaux. Lorsque l’on s’intéresse aux livres de cuisine des ménagères, comme La cuisinière de la campagne et de la ville, ouvrage qui sera publié tout au long du 19e siècle, tout en s’adaptant aux évolutions culinaires, on constate une grande variété de recettes de potages et de légumes, mais aussi des préparations d’abats, de viandes, de poissons et d’œufs. Le pain était l’aliment principal de la majorité des Français. On en trouvait quasiment sur toutes les tables. La soupe et le potage étaient aussi appréciés dans toutes les couches sociales ; la différence se faisant dans la simplicité ou la sophistication de la recette.
Au cours du 19e siècle, on constate néanmoins un embourgeoisement de la table des Français. La vaisselle est plus présente sur la table y compris les verres et les couverts. En contexte de fête, la nappe blanche est de mise. Le repas à la française – c’est-à-dire l’entrée, le plat et le dessert- s’affirme très nettement dans le courant du siècle. On assiste également à l’uniformisation des heures du repas. Pendant très longtemps, ce qu’on appelle « le déjeuner » aujourd’hui était plutôt un repas de la matinée et « le dîner », un repas de la fin de l’après-midi. Or, tout cela va être décalé dans le courant du 19e siècle : le déjeuner devient le repas du midi et le dîner celui du soir. Le repas du matin, qu’on appellera un temps le « déjeuner à la tasse », prendra plus tard le nom de petit-déjeuner.
Qu’en était-il de l’hygiène et de la conservation des aliments ?
Il faut savoir que le 19e siècle est un siècle d’hygiénisme. Les cuisines ont commencé à se couvrir de carrelage blanc, leur nettoyage devient une condition de la grande cuisine, et la tenue blanche du cuisinier s’affirme. Le blanc étant une façon de mieux repérer les tâches sur la veste et le tablier du cuisinier. Par ailleurs, la conservation des aliments n’est pas si simple à cette époque. Il existait déjà des sortes de glacières, des lieux où l’on pouvait mettre de la glace pour y conserver de la viande ou du poisson par exemple. D’autres moyens de conservation des aliments comme le sel, le séchage, la charcuterie ou encore les confitures étaient connus depuis des siècles. La grande nouveauté est l’appertisation, comme nous l’avons déjà évoqué. Les denrées mises en conserve ont d’abord été proposées à une clientèle très aisées, mais cette technique va progressivement se démocratiser pour s’adresser à l’ensemble de la population.Concernant le réfrigérateur dans les appartements et les maisons des Français, il n’est arrivé que très tardivement. Dans la seconde partie du 20e siècle beaucoup n’en disposaient pas encore.
L’alimentation à cette époque avait-elle un impact sur la santé des Français ?
Oui, bien sûr, le lien entre médecine et alimentation existe depuis l’Antiquité. Mais chaque époque avait sa manière de penser la diététique. Au 19e siècle, les progrès de la médecine et de l’hygiénisme vont contribuer à une meilleure connaissance du rapport entre la nourriture et la santé. A cette époque, la réussite sociale du bourgeois devait se voir par son embonpoint. La charcutière bien en chair valorisait d’une certaine façon son commerce. Aujourd’hui, l’embonpoint touche bien souvent les plus modestes. Nous avons une bonne connaissance de l’hygiène alimentaire, ce qui n’était probablement pas le cas au 19e siècle, même s’il y a eu des progrès dans ce domaine.
Quels matériels utilisaient-ils pour préparer leur repas ?
Pendant très longtemps, seules les élites disposèrent d’un lieu spécifique pour cuisiner. Au 19e siècle, la cuisine en tant qu’espace va progressivement trouver sa place dans la majorité des habitations. Mais, il ne faut pas s’imaginer que les cuisines d’autrefois ressemblaient à celles d’aujourd’hui. Elles étaient bien plus modestes. A la campagne, on pouvait encore trouver des maisons avec une pièce principale englobant cuisine, chambre, table à manger, etc. Et l’eau courante n’était aussi pas systématiquement présente dans les demeures des Français pour cuisiner.
Dans les cuisines professionnelles, nous trouvions des fourneaux ainsi que tous les ustensiles de cuisine utilisés encore aujourd’hui : casserole, couteaux, spatule en bois, louche, etc. Dans les demeures familiales, c’était un peu moins développé, mais on y trouvait tout de même des moyens de cuissons tels que les poêles à bois, des ustensiles de cuisines et également des casseroles. Certains pouvaient aussi cuisiner avec des réchauds, des petits fourneaux mobiles permettant de cuisiner plusieurs choses à la fois.
Un changement majeur entre le 19e siècle et les siècles précédents ?
Comparé aux siècles précédents, le 19e siècle a connu une laïcisation de sa nourriture, désormais moins marquée par le contexte religieux. En effet, pendant des siècles, on a distingué la cuisine des jours gras, où l’on pouvait consommer de la viande, et la cuisine des jours maigres sans viande. Au fur et à mesure du développement de la société française du 19e siècle, le côté religieux dans les pratiques culinaires s’est atténué. Enfin, le 19e siècle est aussi marqué par le renforcement des cuisines régionales par rapport au centralisme parisien. Une réelle identité culinaire des régions commence à se mettre en place à cette période. Ce qui n’empêche pas le rayonnement international de la grande cuisine française.
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