Qu’est-ce qui a motivé la rédaction de votre mémento à l’attention des candidats à l’élection présidentielle 2022 ?
Alain Frugière : L’élection présidentielle est la clé de voûte du fonctionnement politique, c’est là que se font les choix fondamentaux. Il y a quelques années on avait fait 22 propositions, c’était peut-être trop. Là nous avons axé sur trois grandes propositions pour la formation des enseignants, des CPE et des psychologues de l’Éducation nationale.
Elsa Lang Ripert : C’est l’occasion de remettre l’éducation dans le débat. On ne porte pas une nouvelle réforme, ce qu’on propose c’est d’améliorer le système, de travailler sur ce qui se fait en amont et en aval du Master MEEF (Métiers de l’Enseignement, de l’Éducation et de la Formation, Ndlr).
Qu’est-ce qui motive vos propositions ?
Elsa Lang Ripert : On n’a pas encore de recul sur la nouvelle réforme, ses lacunes ou ses richesses. Notre propos de départ s’appuie plutôt sur des constats forts qui nous inquiètent comme le fait que 50 % des enseignants débutent dans le métier sans y avoir été formés ni avoir jamais vu un élève. Nous constatons aussi que les concours actuels ne permettent pas d’évaluer l’ensemble des compétences professionnelles, que les démissions d’enseignants ont triplé ces dix dernières années ou bien encore que 22 % des enseignants sont des contractuels.
Vous proposez de passer à 25 semaines de stage avec au moins 7 semaines en licence labellisée et 18 en master MEEF. Le temps de stage actuel est insuffisant ?
Elsa Lang Ripert : Les 18 semaines de stage actuelles en master MEEF peuvent apparaître suffisantes mais il nous semble que cela n’est pas suffisant sur le temps long. Ce qu’on préconise c’est de ne pas concentrer toute la formation sur deux ans. Cette formation à un métier extrêmement complexe ne peut se faire de façon qualitative que sur un temps long, c’est-à-dire sur les cinq années de l’université de la Licence jusqu’au Master. On voudrait que ce temps soit renforcé dans les années de Licence. Et on poursuit notre réflexion pour d’autres temps de stage en formation continuée et continue.
C’est ce que vous proposez à travers la création d’une Licence labellisée « Enseigner et Éduquer ». De quoi s’agit-il ?
Elsa Lang Ripert : Les licences universitaires qui pourraient prétendre à ce label devraient avoir des temps de stage conséquents. Actuellement, pour entrer en master MEEF, on peut avoir fait une licence sans unité d’enseignement de pré-professionnalisation ou une licence avec ces unités. Il y aussi les nouveaux PPPE (Parcours préparatoires au professorat des écoles, Ndlr). On voudrait que l’ensemble de ces licences actuelles, et peut-être d’autres licences qui n’existent pas encore, puissent demander le label « Enseigner et Éduquer » au regard d’un cahier des charges avec des attendus en termes de contenus, de stages, de découverte de la réalité du métier ; l’idée étant de pré-professionnaliser plus et mieux. Notre idée, c’est aussi d’offrir un schéma de cursus plus lisible pour des lycéens qui se destineraient au métier d’enseignant ou de CPE et peut-être ainsi davantage les attirer en « sécurisant » le parcours.
Alain Frugière : Le problème à l’heure actuelle pour les étudiants est d’une part le manque de lisibilité du parcours à suivre pour devenir enseignant ou CPE et d’autre part l’hétérogénéité de ce qui est proposé. Certains étudiants suivent une licence avec une pré-professionnalisation ou une licence qui prépare à tel ou tel concours sans que cela ne corresponde ni à la réalité du métier et ni à celle des épreuves du concours. Il faut une entrée progressive dans le métier, sur la durée.
Qu’apporterait le fait d’être en stage dès la licence ?
Alain Frugière : Très tôt, il y aurait un premier contact avec la réalité du métier. Ça représente deux avantages : permettre aux étudiants de connaître le métier, de se l’approprier progressivement, de voir ce qu’est un élève, les stratégies pédagogiques… Ça permet aussi peut-être à des étudiants qui ont une vision du métier éloignée de la réalité de s’en rendre compte suffisamment tôt pour pouvoir se réorienter.
Elsa Lang Ripert : La licence de Staps est très avancée dans cette pré-professionnalisation. On le voit quand on retrouve ces étudiants en Master MEEF. Ils ont cette connaissance du système éducatif, de ce qu’est une classe, ils ont des notions sur le développement de l’enfant,… autant d’éléments qui sont nécessaires au métier. On voit toute la plus-value des stages qu’ils ont pu faire en licence. On voudrait que ce soit généralisé.
Comment ces stagiaires seraient-ils encadrés ?
Alain Frugière : Il faut d’abord trouver des lieux de stage qui soient des lieux de formation. Il est important d’avoir des lieux de stage avec des tuteurs désignés par les corps d’inspection et un véritable accompagnement. Il faut que l’étudiant vienne en classe avec des grilles de lecture de ce qu’il doit voir, qu’il rencontre le directeur d’école dans le primaire, le chef d’établissement dans le secondaire. Il faut une progressivité dans ces stages qui irait de l’observation à la pratique accompagnée.
Elsa Lang Ripert : L’idée c’est de se confronter avec bienveillance aux divers exercices du métier, dans des contextes très variés. Plus ils le seront, plus les étudiants pourront se rendre compte de la réalité du métier. Au risque que le choc soit parfois rude et malheureusement tardif.
Vous proposez de rendre incontournable un diplôme d’enseignement pour enseigner. C’est-à-dire un Master MEEF pour tous ?
Alain Frugière : On a à peu près la moitié des enseignants et des CPE qui commencent leur carrière sans avoir vu un élève. Même si les concours rénovés vont permettre peut-être d’évaluer plus largement l’ensemble des compétences du métier, actuellement beaucoup de lauréats ne savent pas ce qu’est cette profession. Ça paraît inimaginable de ne pas avoir un diplôme d’enseignement pour enseigner. C’est comme si demain quelqu’un pouvait devenir psychologue scolaire sans avoir fait d’études de psychologie ou être médecin sans avoir fait d’études de médecine.
Elsa Lang Ripert : On peut passer les concours pour être professeur des écoles ou prof de mathématiques en collège avec un statut d’ingénieur sauf que ce ne sont pas les mêmes métiers.
Dans le second degré, de plus en plus d’étudiants choisissent d’être contractuels. Pourquoi, selon vous ?
Elsa Lang Ripert : Les conditions des premières années d’exercice sont parfois difficiles. Les lauréats du concours sont assez souvent positionnés dans des académies et des écoles loin de leur centre de formation et dans des conditions peut-être trop difficiles pour des néo-titulaires. Ils font une sorte de choix par défaut en se disant qu’à la limite c’est plus confortable pour eux d’être contractuels car il y a de la demande. Ils restent dans leur académie, près de leur domicile, de leur famille et ne sont pas mutés dans un établissement qui pourrait être « compliqué ».
Il faudrait un aménagement plus fort de l’accueil et des conditions de recrutement dans le second degré. Il y a cinq ans, c’était une des préconisations du candidat Macron, de ne plus affecter aucun professeur (hors choix motivé) en zone prioritaire pendant ses trois premières années d’enseignement. Ça mériterait d’être à nouveau réfléchi.
Ces trois propositions ont déjà été soumises au gouvernement. Comment ont-elles été accueillies ?
Alain Frugière : On en parle depuis longtemps, même avec le gouvernement précédent. C’est au cabinet ministériel de répondre. On a une écoute sur ces propositions même si pour l’instant il n’y a pas d’engagement dans ce sens. On peut espérer que ça le sera lors de la prochaine mandature.
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