Anthony Bosson est, avec sa femme Nadine, à la tête des boulangeries l’Essentiel. Il nous parle de son métier, de son parcours chez les Compagnons, et de la force du collectif. Il emploie aujourd’hui une centaine de salariés.
Cela veut dire quoi être boulanger aujourd’hui ?
C’est exercer un métier ordinaire, de partage, de convivialité. Un métier où l’on peut poser son pain au milieu de la table et rassembler des cultures, des religions différentes. C’est un vecteur de transmission, de savoir-faire. C’est l’un des plus vieux métiers du monde, mais il nécessite d’être bien formé pour bien avancer.
C’est à dire ?
Avec un CAP boulangerie, il est possible d’ouvrir son commerce. On peut très vite avoir des bases et se lancer. Mais c’est un métier de détails, d’expériences où il faut prendre le temps. Avoir un business plan, c’est bien, mais ce n’est pas l’essentiel. C’est d’ailleurs le nom que mon épouse et moi-même avons choisi de donner à nos boulangeries ! Les bonnes décisions se prennent avec de la liberté et du temps. Il en faut pour acquérir les bons gestes, les savoir-faire mais aussi les savoir-être nécessaires au quotidien.
Dans quel environnement avez-vous grandi ?
Je suis née dans une famille où l’on travaillait pour gagner de l’argent. Uniquement. En cinquième, j’ai rencontré un passionné de boulangerie, un ancien Compagnon qui m’a fait aimer le pain et l’aventure.
Pour votre enseignement professionnel, vous avez choisi les Compagnons du devoir et cela a été déterminant dans votre carrière. Pourquoi ?
J’y ai rencontré des gens qui pensaient comme moi, moi qui n’osais pas penser jusqu’alors ! Il était question d’apprentissage et de transmission au sein d’une famille de travail, et je crois que j’étais fait pour vivre cela. J’ai suivi le parcours traditionnel d’un Compagnon du devoir, durant lequel j’ai validé un CAP puis un Brevet professionnel. J’ai ainsi été apprenti, stagiaire, compagnon aspirant et itinérant. Strasbourg, Lille, Blois, Nîmes, Nantes, j’ai beaucoup voyagé avant de trouver un poste de démonstrateur dans un moulin. Là, j’ai rencontré 80 % des personnes qui façonnent le métier de boulanger, cela en a complètement changé ma vision.
Comment êtes-vous arrivé à la tête de l’Essentiel ?
On peut donner beaucoup, mais il est important de recevoir. Avec ma femme, qui m’accompagne dans cette aventure, nous avons toujours eu besoin de tuteurs, de gens pour nous accompagner, nous suivre, échanger. C’est pour cette raison que nous avons décidé de nous installer. Nous avons un côté boulimique : heureux d’apprendre et d’œuvrer au milieu de tant de talents qui apportent chacun par leurs compétences, leurs expertises. Et cela, c’est très riche.
Quelles qualités avez-vous acquises pendant votre parcours professionnel ?
Je fais un métier qui demande avant tout de bien se connaître, de se sentir à son aise, d’aimer les gens, d’avoir une curiosité naturelle. Toutes les professions sont reliées aux rencontres. Mais en tant que boulanger, c’est particulièrement vrai : on maîtrise le circuit dans sa globalité. Mon artisanat me conduit au meunier, à l’agriculteur, aux clients. Je peux exploiter à haute dose les valeurs humaines et environnementales. Chez les Compagnons, j’ai très vite saisi cet apprentissage, loin de tout jugement.
La boulangerie-pâtisserie ce n’est pas un métier, mais quatorze : boulanger, pâtissier, tourier, traiteur, mais aussi comptable, logisticien, communicant, directeur des ressources humaines, etc. !
Toute expérience est bonne à prendre, mais il faut du temps. Il n’y a pas de fil conducteur de réussite dans l’artisanat, la seule limite à son développement est celle que l’on se fixe. Pour moi, il ne faut pas s’enfermer dans un entonnoir, se former à un mono-concept, avoir une mono-vision, proposer un mono-produit. Quand on me demande quel est mon meilleur pain, je ne sais pas quoi répondre ! Mon plus beau compliment, c’est qu’on me dise que toute la chaîne a porté satisfaction : que c’était bon, sérieux, bien servi…
De quel œil regardez-vous toutes les émissions déclinées à la télévision autour des métiers de bouche ?
C’est très bien, cela fait parler de nous et amène du sang neuf : certains jeunes qui ne se prédestinaient pas aux métiers se tournent vers eux. Mais entre faire une belle table et vivre d’une belle table, il y a un gap ! Il ne faut pas mélanger passion et métier. Ce qu’il y a de dangereux dans toutes ces médiations, c’est d’en fausser la perception. Il ne faut pas être capable de vivre de son métier, mais en vivre bien, tout en restant qui l’on est. Il ne faut pas « essayer de faire comme » mais faire à sa manière.
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