Qu’en est-il de la situation de l’EPS actuellement ?
La situation de l’EPS est paradoxale. Concrètement, rien n’a été fait pour améliorer les conditions d’enseignement. Elles ont même été dégradées, notamment à l’école primaire, avec le forcing sur math-français qui renvoie toutes les autres disciplines au rang de supplément d’âme. La réforme de la formation des enseignants a par exemple diminué drastiquement les horaires dédiés à l’EPS pour les professeurs des écoles. La réforme de la voie professionnelle s’est traduite par une forte diminution des horaires des enseignements généraux dont l’EPS. Quant à la réforme des lycées, elle a déstructuré l’ensemble des lycées. Le sport scolaire pâtit aujourd’hui de cette déstructuration : il n’y a plus de créneaux disponibles pour organiser l’activité. L’EPS a perdu toute évaluation au DNB et son caractère national évaluatif au bac. Les référentiels de notation sont désormais locaux.
Ainsi, la perspective de développer une « nation sportive » annoncée par E. Macron est paradoxale. Ce ne sont pas les propositions cosmétiques du genre « bouger 30 mn » à l’école qui permettront de réduire le décalage. La seule solution pour développer de façon significative et non ségrégative la culture sportive des jeunes, c’est de développer l’EPS qui, comme chacun sait, s’adresse à tous et toutes de la maternelle à la fin du lycée. C’est le seul levier véritablement efficace à grande échelle.
Et concernant le recrutement des enseignants d’EPS ?
Clairement, il n’y a pas assez d’enseignants ! A la précédente rentrée, nous avons chiffré à 10% les horaires d’EPS non assurés. La baisse des recrutements est le fruit d’une politique d’affaiblissement des services publics. Parce que dans le même temps, on multiplie les emplois précaires de contractuels. Compte tenu des besoins et des prévisions de départs à la retraite, notre chiffrage chute sur la nécessité de recruter 1500 enseignants d’EPS par an, contre 600 ou 700 actuellement. Plus globalement, nous savons que le nombre de postes offerts aux concours d’enseignants a un impact sur la détermination des jeunes à s’orienter vers ce métier, en EPS comme ailleurs. On voit aujourd’hui l’effet de la politique menée depuis 2017, dans de nombreuses disciplines on n’a plus assez de candidat-es et tous les postes ne seront pas pourvus. Plus généralement, la suppression de plus de 7000 postes d’enseignants alors qu’environ 25 000 élèves supplémentaires ont été accueillis a conduit à des classes de plus en plus chargées et nuit à l’efficacité du travail. Dans la même veine, le recul de l’âge de départ en retraite, qui risque de bouger encore, pose d’énormes difficultés pour les enseignants, d’EPS particulièrement pour des raisons « physiques » que chacun imagine bien.
Sous Blanquer, quel bilan dresseriez-vous de l’école et des conditions de travail ?
Des points positifs ? Aucun. Dans notre champ, les deux seuls points qui auraient pu être positifs sont la mise en place d’un enseignement de spécialité EPS au lycée et la perspective d’un bac pro « secteur sport ». Nous réclamions un enseignement de spécialité depuis le début de la réforme du lycée mais nous avait été initialement refusé par le ministère et le ministre lui-même. Pourquoi a-t-il changé d’avis ? Sans doute parce que nos arguments sur le fait qu’il était incompréhensible que l’EPS soit la seule discipline qui ne fasse pas partie des spécialités était convaincants. Dans tous les cas, ce revirement de situation est une bonne chose. Sauf que cette spécialité, ayant été introduite à posteriori, pose des problèmes de répartition des moyens… Et nous sommes loin de la possibilité pour tous les élèves de pouvoir la choisir. Son extension complète doit être mise en œuvre rapidement. Concernant le bac pro sport, c’est encore autre chose. Tous les syndicats s’étaient félicités de la perspective. Malheureusement, le point d’aboutissement est tout simplement inacceptable : pas d’enseignement dédié, tout doit se faire en « piochant » dans ce qui se fait actuellement. Ce bac pro n’aboutit pas in fine sur une qualification dans le domaine du sport, mais uniquement sur la moitié d’un diplôme qui existe déjà au ministère jeunesse et sports, le BPJEPS. Conclusion, ça aurait pu être un point positif, mais ça ne l’est pas du tout !
Un nouveau gouvernement va prochainement être nommé. Qu’attendez-vous du futur ministre de l’Education ?
Le projet d’école est un projet de société. Il faut que la société puisse rediscuter à grande échelle de l’école qu’elle souhaite et qu’un consensus soit trouvé. Le futur ministre de l’éducation devra revenir sur tous les dysfonctionnements introduits par JM Blanquer, la liste est longue… mais il devrait aussi mettre en perspective une Ecole publique forte, gratuite, laïque, égalitaire, qui lutte explicitement contre les inégalités. Et pour ce qui nous concerne, l’EPS, l’augmentation de l’horaire hebdomadaire est une priorité : le passage à 4h pour tous et toutes doit marquer le début d’une politique volontariste sur l’éducation physique, sportive et artistique (n’oublions pas qu’en EPS on forme aussi aux pratiques corporelles artistiques), des jeunes. C’est un investissement nécessaire, utile, et rentable qui doit s’accompagner d’une révision des programmes et des évaluations aux différents diplômes de l’éducation nationale !
Enfin, alors que la France accueillera les Jeux Olympiques et Paralympiques 2024, pensez-vous que les élèves soient suffisamment sensibilisés à la pratique sportive à l’école ?
Faire quelque chose maintenant pour 2024, c’est un peu tard ! Qu’a fait le gouvernement depuis 2017 ? Un affichage médiatique sans moyens. Concrètement, on a créé un label « génération 2024 » pour les établissements scolaires. Il s’agit de donner aux établissements qui le demandent un label, pour « bénéficier de l’énergie unique des Jeux ». Et ces établissements peuvent bénéficier d’un « kit » comprenant, selon le site Génération 2024 : « une plaque murale à fixer ; un drapeau pour accompagner leurs évènements ; un tableau agenda pour garder en mémoire les actions mises en place dans le cadre de la mise en action du label Génération 2024 et un sac réutilisable pour ranger ou transporter du petit matériel sportif. »
Tout commentaire est inutile ! Rajoutons quand même que ces labels, après un forcing incroyable du ministère, touchent au bout de plusieurs années d’effort de conviction à peine 10% des établissements primaires et secondaires…
Pour ce qui est de l’éducation à la culture sportive, on repassera.
En France, nous avons quelque chose d’incroyable, que d’autres pays nous envient : le sport scolaire. Une organisation (UNSS) qui touche tous les établissements scolaires du second degré. Et une autre (USEP) pour le primaire, mais qui ne touche pas toutes les écoles. Si le bon sens avait présidé, on se serait appuyé sur l’existant pour le développer. Les structures étaient présentes, il suffisait de les étoffer pour que tous les établissements de France soient partie prenante d’une ambition : doter chaque élève d’une solide culture, de la maternelle à la terminale, lui permettant d’avoir une pratique régulière toute sa vie. 2024, c’est demain. Mais au-delà ? La vie ne va pas s’arrêter au lendemain des jeux. L’EPS et le sport scolaire sont les clés de la réussite d’un projet d’éducation sportive.
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