Face à la difficulté de recruter de nouveaux professeurs, la forme des concours et même leur utilité peut faire débat. Le Conseil Supérieur des Programmes (CSP) a émis plusieurs scénarios possibles en ce sens. Entretien avec Stéphanie Aydin, Présidente de la Société des Agrégés, agrégée de grammaire et doctorante, elle-même auditionnée par le CSP.
Dans votre communiqué du 13 mars, vous soulignez que tous les scénarios proposés par le CSP présentent des épreuves à caractère professionnalisant (épreuve orale d’admission avec une mise en situation pédagogique et un entretien professionnel). Pourquoi vous opposez-vous à ces épreuves ?
Recruter un professeur, c’est d’abord recruter un candidat qui soit capable de montrer une maîtrise disciplinaire théorique et pratique de la discipline qu’il se destine à enseigner : la théorie est vérifiée d’une part par des épreuves écrites nationales et anonymes et d’autre part par des épreuves orales où les candidats doivent être capables de faire des exposés clairs de ce qu’ils ont appris en théorie. Si le candidat est admis après ces deux étapes, alors il peut être mis en situation durant l’année de stage où il devra apprendre progressivement face à ses classes, et sous le conseil de ses pairs, à faire preuve de pédagogie : mais la maîtrise disciplinaire est un préalable incontournable à toute mise en situation. Les épreuves professionnelles ne peuvent faire sens que pour des concours internes dont les candidats ont déjà une expérience du terrain et donc le recul nécessaire pour fournir une réflexion fondée sur des éléments concrets. Autrement, toute épreuve à caractère professionnel serait mal venue et reposerait sur des critères subjectifs contestables qui n’ont pas leur place dans le principe même de concours.
N’est-ce pas important de juger les capacités d’un candidat dans une mise en situation comparable à celle qu’il aura en classe ?
Toute mise en situation serait artificielle et ne pourrait permettre de juger ce qu’il en serait sur le long terme du candidat dans le métier. L’année de stage des concours externes de l’agrégation permet à bien des égards de développer chez les candidats leur sens de la pédagogie – qui d’ailleurs évolue durant toute la carrière d’un professeur – grâce à l’expérience qu’ils se font petit à petit du terrain, aux conseils de leurs pairs – tuteur d’établissement et collègues – et enfin, elle permet d’apprendre les gestes professionnels au contact de l’ensemble de l’équipe éducative. Jusque-là, nous n’avons trouvé mieux pour former les collègues et ce qui est proposé est loin d’être aussi satisfaisant. Il faut cesser de réformer pour détruire.
Vous écrivez que l’entretien professionnel, qui existe déjà dans le CAPES actuel, « risque de conduire à une uniformisation » du profil des candidats ou à une « séance de mimétisme pour satisfaire aux attentes supposées du jury ». L’entretien oral, tel qu’il existe dans le secteur privé par exemple, n’apporte rien au recrutement d’un futur professeur ?
Un tel entretien serait surtout fondé sur des questions matérielles et des critères faussement objectifs. Durant un tel entretien sont évoquées les questions de disponibilité, de fonctionnement de l’établissement et ensuite des questions peut-être sur les motivations personnelles. Si le candidat s’en sort bien, il sera recruté dans un établissement qu’il aura davantage choisi que dans le cadre des mouvements d’affectation du second degré. C’est peut-être là le seul bénéfice pour le professeur. Quant au chef d’établissement, c’est laissé à son appréciation et il devra donc assumer son choix. L’Éducation nationale ne peut pas être gérée comme une entreprise privée. C’est une institution qui a pour mission de transmettre les savoirs et d’instruire.
Vous vous opposez à la disparition des épreuves écrites proposées dans les scénarios 5 et 6 au profit de l’examen d’un dossier ou de deux épreuves orales mais aussi du scénario 7 qui prévoit la suppression du concours pour un recrutement sur liste d’aptitude. Que craignez-vous avec la suppression des épreuves écrites ?
La suppression des épreuves écrites, c’est porter atteinte au principe même de concours. C’est porter atteinte au caractère national du recrutement et à l’anonymat des épreuves et donc cela revient à porter atteinte à l’article 6 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen pour ce qui est du recrutement des fonctionnaires. Supprimer les épreuves écrites revient à dénaturer le concours et donc porter atteinte à la Constitution et aux principes républicains. Les épreuves écrites, anonymes et disciplinaires, sont un moyen plus objectif de sanctionner et classer les candidats que des épreuves dites professionnelles qui seraient, au demeurant, plus discriminantes que des épreuves écrites nationales et anonymes.
L’obtention d’un Master, disciplinaire ou MEEF, ne suffirait pas à attester la maîtrise des savoirs ?
L’obtention d’un Master disciplinaire assure une meilleure maîtrise disciplinaire qu’un Master MEEF dans la mesure où le Master MEEF, tel qu’il est conçu, ne permet pas en général d’approfondir autant qu’il le faudrait la maîtrise théorique de la discipline à cause d’une place trop croissante de la partie professionnelle par l’alternance. C’est mettre la charrue avant les bœufs. Quant au Master disciplinaire, il doit être parachevé par la formation de la préparation au concours afin d’assurer un certain niveau de maîtrise disciplinaire ; encore faut-il que les préparations aux concours ne soient pas vidées de leur contenu et leur substance.
Vous écrivez que le concours « doit permettre de recruter les meilleurs candidats dans la discipline ». Comment faire quand le nombre de lauréats (et parfois de candidats) est insuffisant pour couvrir les besoins en professeurs sur le terrain ?
Il faudrait permettre aux meilleurs étudiants de se former dans de bonnes conditions. Il faudrait cesser de fermer des sections de préparation dans les universités de province, obligeant certains étudiants à renoncer à aller jusqu’au concours et même à changer de voie car cela pose le problème de se loger et de se financer dans une ville où le coût de la vie est trop cher. Et globalement, pour attirer des candidats aux concours externes, il faudrait cesser d’alourdir les tâches des enseignants et surtout de croire qu’on pourra faire l’impasse d’une réelle revalorisation financière, morale et sociale du métier ! Le « Pacte enseignant » est d’ailleurs le paroxysme de ce mépris que notre employeur a à l’égard du travail qu’accomplissent chaque jour les enseignants. Leurs conditions de travail, leur sécurité et même celles des élèves, et enfin leur pouvoir d’achat ont suivi une pente descendante au point qu’aujourd’hui leur statut de fonctionnaire ne leur permet même pas de pouvoir se loger décemment dans certaines villes. Pourtant, les enseignants font partie de la base d’une Société, sans eux, les autres métiers ne peuvent exister. Une revalorisation sans contreparties du métier de tous les professeurs est la condition pour que l’Éducation nationale puisse garder les personnels encore en place et recruter de nouveaux candidats.
Si le CSP exclut le cas de l’agrégation dans son avis, il note malgré tout que son évolution « mérite une réflexion spécifique ». Êtes-vous d’accord ?
Sans agrégation, il n’y aura plus d’enseignement secondaire ni même supérieur, y toucher serait une erreur. Au lieu d’importer les idées des autres pays, il faudrait peut-être exporter nos idées. Le concours de l’agrégation a fait ses preuves depuis déjà plus de 250 ans et a survécu aux différents ministres et réformes de l’éducation nationale. L’agrégation est désormais paradoxalement plus reconnue à l’étranger qu’en France. Elle pourrait être un fleuron de la France et participer au rayonnement de la France dans le monde. S’il est besoin d’une réflexion spécifique, ce serait plutôt que le ministère s’interroge sur toutes les erreurs commises depuis des décennies, dans l’objectif de reconstruire et refonder tout ce qu’il a détruit au point qu’aujourd’hui on ne puisse plus recruter assez de professeurs, au niveau attendu.
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