« Tous les recrutements que l’on fait habituellement sont essentiellement pilotés par des besoins de formation, pas par des besoins de recherche. C’est un support privilégié, particulièrement adapté pour notre type d’établissement : une université de taille moyenne », introduit Philippe Simoneau, le vice-président recherche de l’Université d’Angers. Depuis 2020, l’établissement demande chaque année une à deux chaires de professeur junior (CPJ).
Depuis leur mise en place dans le cadre de la Loi de programmation pour la recherche (LPR), votée à l’hiver 2020, les CPJ cristallisent les tensions. Le dispositif, ouvert aux titulaires d’un doctorat, permet, après trois à six ans de contrat, d’accéder à un poste de professeur des universités ou de directeur de recherche, sans passer par la case maître de conférences, et le concours qui va avec. Pour la rentrée 2023, 177 CPJ sont ouvertes, c’est 29% de plus que l’an dernier.
Un mode de recrutement « délétère »
A l’Université d’Angers, la mise en place a été votée en conseil d’administration en 2021. Ce qui n’a pas été le cas partout. Nombreux sont ceux qui dénoncent « une voie parallèle » de recrutement. Argument retoqué par le ministère de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation (MESRI) qui assure que ces postes ne viennent pas « à la place de », mais en complément, et qu’ils sont « plafonnés ». Mais il ne convainc pas.
« Il y a de moins en moins de postes pour prendre en charge de plus en plus d’étudiants. Il existe une sous-dotation structurelle, et les contrats courts prolifèrent. C’est dans ce constat de pénurie que se situent les débats. Certains disent : c’est toujours ça de gagné, mais à quel prix ? Celui du détricotage du statut d’enseignant-chercheur ? », s’insurgent Nathalie Vienne-Guérin, vice-présidente recherche de l’Université Paul-Valéry de Montpellier, présidente du conseil scientifique de l’InSHS et Bruno Ambroise, chargé de recherche en philosophie au CNRS et secrétaire scientifique du conseil scientifique de l’InSHS. Dans un communiqué publié en début d’année, ils ont réaffirmé leur opposition à la mise en place des CPJ, appelant le ministère à abandonner « ce nouveau mode de recrutement délétère » et les universités, organismes de recherche et instituts, à « ne pas le mettre en place ».
Chaires d’excellence, nouvelle formule ?
A l’Université d’Angers, il n’y aura pas plus de deux CPJ par an. « Nous recrutons aussi de très bons maîtres de conférences et professeurs d’université par le contingent normal, mais nous les positionnons sur les disciplines qui sont les plus déficitaires d’un point de vue formation, pas les plus fortes d’une point de vue recherche », reprend Philippe Simoneau. Dans l’établissement ligérien, on assure que « le premier critère, c’est la qualité scientifique du dossier. Nous demandons ainsi aux laboratoires de veiller à ce que les curriculum vitae des candidats retenus soient incontournables, de niveau quasi professeur, de façon à éviter les crispations. »
Quand un poste a été proposé au laboratoire MINT, quatre candidatures ont été déposées. « Je cherchais des collaborateurs pour avoir la possibilité de designer des nouveaux matériaux en santé. L’occasion s’est présentée de pouvoir construire un projet avec des spécialistes de polymères. Jamais je n’aurais pu recruter quelqu’un comme ça sur le contingent », soutient Patrick Saulnier, directeur du laboratoire. C’est finalement l’Ukrainienne Oksana Krupka qui a été retenue.
Attirer des « leaders scientifiques »
Pour Nathalie Vienne-Guérin, « il ne doit pas y avoir des chercheurs excellents ici, et un désert autour. La problématique est la même que celle des hôpitaux : il doit y avoir des bons médecins partout ! »
A Angers, on argue que les CPJ permettent de « vérifier et doper son attractivité », en attirant de jeunes chercheurs, futurs « leaders scientifiques », sur des disciplines émergentes ou de pointe. Mais la chercheuse est vent debout « contre le système généralisé des appels à projets qui amène de la concurrence » et dénonce « la logique de précarisation » des CPJ, généreusement dotés (jusqu’à 200 000 euros de dotation financée par l’ANR auxquels peuvent s’ajouter des financements complémentaires) mais qui font reposer une « pression » sur les épaules de ces jeunes chercheurs « taillables et corvéables à merci ».
Et après ?
A Angers, le contrat d’Oksana Krupka, qui court sur quatre années, renferme 64 heures d’enseignement. Contre 192 heures pour les maîtres de conférences. Auréolée du prix l’Oréal-Unesco Women in Science en Ukraine en 2019, elle est aujourd’hui rattachée au laboratoire MINT, mais le projet qu’elle développe est conduit en collaboration avec le laboratoire Moltech. « C’est un projet d’équipe. Je souhaite apporter mes connaissances et savoirs, mais j’ai aussi beaucoup à apprendre »
« Il est normal que l’on demande un peu plus à ces titulaires. Ils doivent faire leurs preuves », intervient Philippe Simoneau. « Mais j’insiste : le programme a vraiment été construit en partenariat. Je ne compte pas les réunions pour le border. Oksana a été très bien intégrée et elle apporte un nouveau regard dans notre milieu », ajoute Patrick Saulnier. A l’Université d’Angers, deux autres chercheurs aux profils internationaux ont signé une CPJ : la néerlandaise Inge Van Dik, rattachée au laboratoire LPG (sciences, géologie) et le français Maël Baudin, qui, après avoir passé une dizaine d’années aux Etats-Unis, a rejoint le laboratoire IRHS (végétal).
« La plupart des candidats recrutés en CPJ candidatent aussi sur des concours classiques. Mais désormais pour avoir un poste à l’université, il faut avoir fait un, deux, voire trois post-doc à l’étranger », croit savoir Nathalie Vienne-Guérin. « Le ministère a beau jeu de dire qu’il ajoute d’autres postes. Lorsqu’il va falloir intégrer ces chercheurs dans le corps de la Fonction publique, je ne sais pas comment cela sera financé. Il n’y a aucun budget alloué, il va falloir piocher dans la masse salariale », conclut-elle. La question n’a pas fini de faire couler de l’encre…
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