Quel bilan tirez-vous de la réforme du lycée ?
Le bilan est mitigé. Il faut rappeler que la mise en œuvre de la réforme a été perturbée par plusieurs années de pandémie avec des élèves et des professeurs malades, des classes en demi-jauge, l’enseignement à distance… Nous n’étions pas dans les meilleures conditions de travail. C’est finalement notre première année avec les épreuves de spécialité en mars mais on voit déjà des points de friction.
Quels sont-ils ?
Il y a une montée en puissance des attentes en Terminale. Entre septembre et mars, il y a une forte densité de connaissances et de méthodologie à acquérir : les élèves doivent savoir faire une dissertation, une étude de documents sans paraphrase… La maîtrise de ces capacités varie d’un élève à l’autre, certains y parvenant rapidement, d’autres ayant besoin de consolidation. Les épreuves de spécialité arrivent beaucoup trop tôt dans le calendrier, car certains élèves ne sont pas prêts. L’an dernier, ces épreuves ont eu lieu en mai, ce qui laissait davantage de temps pour assimiler les cours.
Certains professeurs déplorent un absentéisme après les épreuves de spécialité. Vous le constatez aussi ?
Tout à fait ! Certains élèves ont pris une semaine pour réviser avant ces épreuves, négligeant leurs enseignements de tronc commun. Et après les épreuves, le retour en cours et la remise au travail ont été difficiles. Les épreuves de spécialité ont été placées en mars pour pouvoir rapidement intégrer les notes sur Parcoursup, mais ce calendrier entraîne une vraie désorganisation. Comme les élèves ont leurs résultats très tôt, avec les forts coefficients attribués aux spécialités, ils savent dès la mi-avril s’ils ont le bac. Il y a alors beaucoup moins d’enjeux pour eux, ce qui explique la démobilisation et l’absentéisme… Et les épreuves de bac blanc, celles de spécialités, suppriment des heures de cours pour les élèves de 2nde et de 1ère. Le mois de mars n’a pas été celui de la régularité et de la cohérence ! En mai, il y a des oraux de diverses disciplines (épreuves de section internationale, oraux de DNL -section européenne anglais ou espagnol ou allemand-…), ce qui accentue la sensation de discontinuité.
Quel retentissement la réforme du lycée a-t-elle eu sur l’enseignement de l’histoire-géographie dans le tronc commun ?
Les élèves sont présents en cours mais comme il n’y a pas d’épreuve en fin d’année et que le contrôle continu en histoire-géographie compte pour une part infime du Bac, ils s’impliquent moins. Et pendant toute la dernière période, les élèves sont stressés par les choix d’orientation qu’ils doivent faire. Si certains sont très organisés et décidés, d’autres, malgré nos conseils et notre aide, ne savent pas vers quelle formation se diriger. Ils doivent rédiger leurs lettres de motivation, préparer des concours d’entrée dans certaines écoles : où aller, comment faire les bons choix ? Ils ont d’autres préoccupations en tête. C’est comme s’ils étaient en cours avec nous, tout en étant ailleurs… L’année de Terminale doit demeurer une année de formation jusqu’au mois de juin. Cela n’est plus vraiment le cas.
La réforme comprend également un grand oral. Avec le recul, cette nouvelle épreuve vous paraît-elle pertinente ?
Savoir s’exprimer oralement est essentiel, mais ce grand oral devrait être repensé. Il y a trop d’importance accordée à la forme et pas assez au fond. Ce grand oral s’inspire du « colloquio » italien (un oral pluridisciplinaire dans l’équivalent du bac italien, ndlr) mais celui-ci est beaucoup plus profond et abouti. Le jour de l’épreuve, l’élève parle pendant dix minutes. Mais comment traiter un sujet dans un temps aussi restreint ? L’élève doit également se présenter et répondre à des questions sur son futur parcours dans l’enseignement supérieur. C’est parfois assez éloigné de la spécialité qui fait l’objet de l’interrogation. Un grand oral suppose que l’on travaille tout au long de l’année. Or certains élèves le préparent un peu à la va-vite, au dernier moment, surtout s’ils savent qu’ils ont déjà le Bac ou presque. Bien sûr, pour ceux qui ont mal réussi les épreuves de spécialité, le grand oral a un enjeu différent, ce qui provoque une anxiété compréhensible.
En Terminale, cette année comme en 2021, la spécialité « histoire-géographie, géopolitique et sciences politiques » arrive en 4ème position des plus choisies. Ça prouve l’engouement pour la discipline…
Oui, nous sommes très satisfaits car la création de la spécialité est vraiment un des points positifs de la réforme. Ce nouvel enseignement plaît aux élèves, avec des thèmes attractifs et souvent, surtout en première, en prise directe avec l’actualité mouvante du monde (frontières, démocratie, médias, puissances, religions…). En fonction des groupes, il y a de belles alchimies qui se créent.
Quels sont les autres points positifs que vous retenez de cette réforme ?
Les spécialités bénéficient de 4 heures d’enseignement en 1ère et de 6 heures en Terminale, ce qui donne du temps pour travailler et approfondir les thèmes. De plus, les sujets sont intéressants et intellectuellement très stimulants pour les élèves et les professeurs. Les élèves acquièrent la méthodologie de la recherche documentaire, doivent gagner en autonomie pour travailler de façons différentes : rédiger des synthèses, écouter des podcasts, cartographier, préparer des exposés, travailler sur des ensembles documentaires… Ils se préparent progressivement aux exigences de l’enseignement supérieur.
Ces points positifs se retrouvent-ils aussi dans l’enseignement d’histoire-géographie du tronc commun ?
Quand on enseigne en tronc commun, il y a moins d’enjeu, en l’absence d’épreuve écrite terminale. Certains élèves peuvent se sentir moins impliqués, sans la crainte de ne pas arriver à tout mémoriser. Un programme ne fait jamais l’unanimité et chacun en tire les fils les plus pertinents, surtout s’il y a des projets pédagogiques spécifiques (concours scolaire par exemple). L’intérêt suscité par les questions est variable, mais c’est surtout le décalage entre le temps dédié et le grand nombre de chapitres qui pose problème. On nous rétorquera que les professeurs se plaignent toujours de la lourdeur des programmes, mais nous constatons les décalages dans nos classes.
Avec l’organisation actuelle, soit trois heures par semaine, on a peu de temps pour approfondir, alors que nous avons à chaque rentrée des élèves qui ont des fragilités dues à l’enseignement à distance. Cela a laissé des traces importantes en termes de démobilisation, d’absence de travail à la maison… Sans compter que nous n’avons jamais eu autant d’élèves confrontés à des problèmes de stress, de phobie scolaire, de refus anxieux, de stratégies d’évitement des évaluations… Il y en a dans toutes les classes, nous faisons de notre mieux pour les accompagner et faire avancer tout le monde.
Lors d’un précédent entretien, vous déploriez qu’il n’y ait qu’1h30 d’histoire-géographie en série technologique. Comment ça se passe en cours ?
C’est encore plus compliqué dans ces séries car ces élèves ont davantage de difficultés pour rédiger. Paradoxalement, c’est aux élèves les moins outillés qu’on enlève du temps de travail. Des demi-groupes, des dédoublements de classe, permettent de travailler plus précisément, de mieux expliquer, de revenir sur des notions. C’est un confort pédagogique réel et bénéfique aux élèves. Mais des classes de 35 élèves qui ont du mal à se concentrer, qui sont souvent absents, compliquent la relation pédagogique. Cependant, certaines classes de STMG ou ST2S révèlent parfois de belles surprises !
Dans votre communiqué du 5 mai 2023, vous vous inquiétez des annonces concernant la réforme du lycée professionnel. Vous parlez d’un grand bon en arrière. Pourquoi ?
Il y a beaucoup de communication ministérielle mais pas du tout de concertation avec les associations de professeurs. Alors qu’ils devraient être reçus et entendus, les professeurs de lettres et histoire ne savent absolument pas ce que la réforme est susceptible de modifier. La précédente réforme est à peine digérée. Elle avait fortement réduit les heures d’enseignement général alors que les programmes sont assez denses. Cette réforme est très mal passée chez les collègues. Si les périodes de stage s’allongent encore, les élèves perdront des heures de cours. On promeut beaucoup l’apprentissage et le nombre d’élèves qui y entrent mais on parle moins de tous ceux qui ne vont pas au bout de ce type de formation, et qui n’ont aucun diplôme. Nos collègues qui enseignent en lycée professionnel se sentent méprisés, avec la sensation que les réformes sont mises en œuvre en niant leur expertise professionnelle. Leurs inquiétudes sont légitimes.
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