Il y a deux ans, Gaëlle Assoune*, professeure de français en collège en Rep+ à Nice, figurait parmi les 50 finalistes du Global Teacher Prize, pour son travail mené depuis 2018 autour de l’empathie. A l’époque, son idée était de créer une salle des émotions au sein de sa classe, de l’infirmerie et d’un tiers lieu dans le collège. Faute de budget, le projet de cette salle est ralenti et la professeure décide de le transformer en un concept : le Dispositif d’Accueil Des Émotions (DADE). Celui-ci comprend cinq étapes : apprendre à ressentir, identifier et nommer les émotions, apprendre à les communiquer, partager l’accueil des émotions d’un enfant avec d’autres adultes, rendre l’enfant autonome et retrouver une sécurité affective durable. « Ce dispositif participe à recréer des liens d’attachement avec des adultes, comme un petit enfant le fait avec ses parents selon la théorie d’attachement de Bowlby (psychiatre britannique, Ndlr). Cela favorise le respect, la confiance et l’empathie entre l’élève et le corps éducatif », explique Gaëlle Assoune.
Inclure l’empathie dans les cours
A l’époque, faute de fléchage pour des cours d’empathie dans l’emploi du temps, la professeure décide d’introduire les cinq étapes de son dispositif directement dans ses cours de français.
Dans un premier temps, elle teste pendant un an le cahier des émotions, un cahier dans lequel ses élèves devaient écrire leurs émotions. « Ça permettait de travailler les compétences de production écrite, de libérer les élèves de leurs émotions sans que ça ne gêne le cours. Mais je me suis rendu compte qu’avant d’exprimer leurs émotions, il fallait déjà que les élèves les ressentent et sachent comment elles se manifestaient en eux », confie la professeure. Pour les y sensibiliser, elle part de l’étude de personnages littéraires pour expliquer le stress, la colère, la peur… et le lien avec le corps. Concrètement, ses élèves devaient imaginer les émotions ressenties par ces personnages, leurs réactions et sensations corporelles. Depuis, elle a développé diverses stratégies pédagogiques pour intégrer l’empathie dans ses cours.
D’autres projets imprégnés par l’empathie
Pour développer les compétences psychosociales (CPS) en lien avec les compétences du socle (apprendre à exprimer ses besoins, respecter les autres…), Gaëlle Assoune s’appuie sur des projets en classe et en dehors (parcours avenir, parcours citoyen, parcours de l’art…). Elle reprend les techniques du théâtre-forum et du design thinking pour que les élèves se mettent à la place des autres. « Ces situations concrètes d’immersion leur apprennent par exemple qu’il faut choisir son niveau de langage, avoir de la culture générale pour mener une conversation, réagir de façon appropriée dans un travail de cohésion de groupe, respecter la hiérarchie, les process… En développant ces CPS ou lifeskills, je me suis efforcée de créer un sentiment d’appartenance avec les élèves pour qu’ils se sentent compris, en confiance et motivés », estime la professeure.
Un impact sur le décrochage scolaire et le harcèlement
Ce dispositif, développé également dans le cadre du GPDS (Groupe de Prévention du Décrochage Scolaire) du collège a été évalué par la professeure et ses collègues. Sur les 17 élèves y ayant participé, sept ont raccroché en quatre mois. L’initiative a aussi un impact positif sur le harcèlement scolaire, selon la professeure, à condition que l’action des adultes soit coordonnée. « Quand chacun fait de son côté, l’infirmière, le professeur etc ça n’a pas d’impact. Quand tous œuvrent ensemble – c’est la partie 4 du DADE – l’enfant se sent rassuré car on a tissé un réseau d’adultes pour recréer un espace de sécurité affective autour de lui », explique Gaëlle Assoune. Cet espace permet de laisser la parole aux enfants, de les écouter et qu’ils se parlent entre eux pour débloquer les situations problématiques. « Créer un sentiment d’appartenance implique de créer un groupe soudé, dans lequel on s’entraide, pas le contraire. Toute l’année dernière, je savais qu’il se passait quelque chose dans une de mes classes mais la communication ne se faisait pas. Avec tout ce que j’ai mis en place à travers le Dispositif d’Accueil Des Émotions (conseils d’élèves créés avec un collègue, ateliers philo, heures de vie de classe, débats…) ça a permis aux élèves d’avoir droit à la parole et d’être écoutés. Ils n’ont pas peur de moi, de me parler. Et les élèves ont profité d’un atelier philo pour identifier qu’il y avait eu du harcèlement et se présenter mutuellement des excuses. C’était un moment très intense pour tout le monde », se souvient l’enseignante.
Le fléchage des cours d’empathie, une bonne idée ?
Gabriel Attal, le ministre de l’Éducation Nationale, vient d’annoncer que des cours d’empathie seraient lancés dans les établissements scolaires à la rentrée 2024, à la manière de ce qui se fait dans les pays nordiques. Gaëlle Assoune s’est elle-même inspirée de ce qui se fait là-bas. « Personnellement, je ne pense pas qu’il faille flécher des cours d’empathie spécifiques dans l’emploi du temps. J’ai trouvé plus intéressant d’implanter l’empathie dans ce qui existe déjà car on gagne en temps et en efficacité. Pour que ça réussisse, il faut former les professionnels, les familles, mais il faut aussi travailler sur les biais cognitifs et conceptions initiales de la société française… », estime-t-elle.
Depuis cette rentrée, elle est devenue formatrice Canopé, une autre manière d’agir pour développer l’empathie et de prévenir le harcèlement scolaire. L’atelier Canopé O6 – Nice est d’ailleurs porteur d’un projet de la cité éducative Nice Moulins et St-Laurent du Var Point du jour. Il organise un hackathon de lutte contre le harcèlement le 14 février 2024, précédé d’une conférence en présence d’experts scientifiques le 17 janvier.
* Gaëlle Assoune est également la fondatrice de l’association Be-N-Joy qui œuvre à l’implantation de l’empathie dans la société.Le padlet des initiatives menées.
Image d’accueil : Getty
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