Votre nouvelle enquête de victimation dans le 1er degré dévoile une baisse de la satisfaction du personnel vis-à-vis du climat scolaire (73,5 % en 2011 vs 58,5 % en 2023). Comment l’expliquez-vous ?
Benjamin Moignard : Il faut d’abord noter un maintien fort de la satisfaction dans la relation avec les élèves, ce qui fait le cœur du métier d’enseignant. 92 % du personnel considère que ces relations sont bonnes ou très bonnes avec les élèves et être respecté par eux. Ce qui s’est détérioré en dix ans, ce sont les difficultés éprouvées avec certains élèves, en particulier ceux liés au dispositif d’inclusion. C’est un constat beaucoup plus fort dans le 1er degré que dans le 2nd. C’est sans doute en raison d’un rapport enseignant-élèves différent et du fait que les enseignants du premier degré ont les élèves toute la journée avec eux. Rares sont les professionnels à remettre en cause l’école inclusive mais ils sont en attente de formation et de moyens pour faire face à ces contraintes.
L’autre point marquant de notre enquête, c’est une défiance assez forte à l’égard de la hiérarchie, notamment de la haute hiérarchie de l’Éducation nationale. Les personnels se sentent isolés et pas soutenus.
La relation avec les parents d’élèves se dégrade : 15 % des personnels ne se sentaient pas respectés par eux en 2011 contre 27,5 % en 2023…
Vincent Bouba : Ces résultats confortent ce que nous observons dans notre baromètre annuel du climat scolaire à partir des dossiers traités de nos adhérents. Là, il ne s’agit pas d’avis ou d’estimation mais de faits. Et dans 48 % de nos dossiers, les parents sont impliqués dans des conflits avec les personnels. Cette relation a toujours été complexe. Le dialogue peut ne pas être aisé car les parents ont un regard plus individuel sur l’enfant qu’ils confient tandis que les enseignants doivent faire fonctionner un groupe dans un projet collectif et développer les valeurs de cohésion, de partage, de faire et de vivre ensemble. Cela peut être source de conflit, de tension. Le contexte social, économique, sanitaire et environnemental peut aussi inquiéter les parents et augmenter leurs attentes envers l’école. Parfois l’école peut être considérée comme un bien de consommation alors qu’elle est le lieu de construction de citoyens éclairés et ce travail demande du temps. On demande beaucoup à l’école or elle ne peut pas tout faire.
Les personnels du 1er degré ont la sensation de ne pas être respectés par la haute hiérarchie de l’Éducation nationale (74 %, hors IEN). Comment expliquez-vous ce taux ?
Benjamin Moignard : Ce sentiment de défiance du terrain à l’égard de la hiérarchie n’est pas propre à l’Éducation nationale. On le retrouve dans les hôpitaux, dans la police… Ce n’est pas seulement la haute hiérarchie qui est en cause dans ce sentiment de mépris social mais le manque de valorisation du métier d’enseignant. En dix ans, le nombre de candidats au concours des écoles a chuté et c’est aussi lié à cette atteinte du statut. Le deuxième point qui revient assez massivement dans cette enquête, c’est le sentiment de ne pas être aidé là où c’est difficile. La hiérarchie n’a pas de solution à proposer face aux élèves les plus en difficulté.
Justement, en 2011, un peu moins de 40 % des répondants disaient connaître des difficultés fréquentes ou très fréquentes avec des enfants gravement perturbés contre 73,5 % en 2023. En quoi l’école inclusive pose-t-elle des difficultés ?
Vincent Bouba : Les enseignants ne sont pas contre l’école inclusive, ils portent ses valeurs. On ne doit pas faire de retour en arrière concernant la loi de 2005 qui favorise l’inclusion car elle est importante pour notre société. Mais il faut mieux accompagner les personnels et déployer davantage de moyens car ils ne peuvent pas accueillir ces enfants dans de bonnes conditions. Dans le baromètre de l’ASL, sur les dix mille dossiers traités, on estime que 20 % ont un lien avec des élèves qui présentent des troubles du comportement. Les moyens et les dispositifs alloués pour accueillir ces enfants reconnus auprès de la MDPH sont insuffisants et ça a des retentissements sur le bien-être, le moral et la charge de travail des personnels. Il y a aussi des enfants, pas encore reconnus par la MDPH en raison de l’instruction des dossiers qui peut être longue et des rendez-vous médicaux,, qui présentent de graves troubles du comportement et les personnels éducatifs sont désemparés et seuls. Les personnels ne peuvent pas assumer les manques des acteurs institutionnels, de l’Éducation nationale, du secteur de la santé, du médico-social.
Quelles pistes d’amélioration l’ASL conseille-t-elle aux pouvoirs publics ?
Vincent Bouba : A L’ASL, notre première mission c’est d’accompagner les personnels confrontés aux risques du métier (insultes, menaces, propos diffamatoires, agressions physiques…). L’une de nos premières propositions aux pouvoirs publics, c’est le développement de la prévention, car c’est un axe majeur de protection. Cela passe par une forte politique de formation que nous avons déployée. Étant conventionné par le ministère de l’Éducation nationale depuis 2012, nous pouvons former les personnels de l’éducation aux responsabilités juridiques (relations parents-enseignants, responsabilités civiles et pénales, autorité parentale…). Nous souhaitons que nos formations soient généralisées et deviennent obligatoires pour que les personnels puissent mieux appréhender les situations problématiques.
Une autre piste concerne la protection fonctionnelle due par l’État. Elle doit être accordée plus rapidement aux personnels avant même le dépôt de plainte. La justice doit être plus ferme et suivre les plaintes. Cela démontrerait une véritable reconnaissance par les pouvoirs public de l’importance des personnels de l’éducation.
Nous aimerions également que la priorité soit mise sur les lignes budgétaires consacrées au climat scolaire et au bien-être des personnels. Quand le personnel ne va pas bien, cela a des répercussions sur les élèves, les apprentissages, le climat scolaire et finalement l’ensemble des acteurs de l’école.
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