Pouvez-vous vous présenter ?
Je suis Thierry Dauxois, physicien et directeur de CNRS Physique, qui regroupe 70 laboratoires de recherche de physique, en France et à l’international.
Pouvez-vous présenter l’Année de la Physique ?
L’Année de la Physique répond à un premier objectif : renouveler le regard des citoyens et en particulier de la jeune génération sur la physique, qui est une discipline qui peut fasciner comme rappeler de mauvais souvenirs d’école. C’est pourtant une science qui est au cœur des enjeux du monde de tous les jours et attachée à des questionnements fondamentaux.
Cette Année s’adresse principalement aux jeunes ; surtout aux lycéens et lycéennes. Nous avons aussi des formations prévues pour les enseignants, qui sont de formidables passeurs de savoirs et notamment de science.
Le projet est porté par le CEA, le CNRS, France Universités et la Société Française de Physique, ainsi que par le Ministère de l’Education Nationale et par des partenaires comme d’autres sociétés savantes, le CNES, des associations de professeurs…
Pourquoi est-il important de former plus de jeunes à la physique ?
Nous avons besoin de femmes et d’hommes avec une formation en physique, pour différents métiers : des chercheurs, des ingénieurs, mais aussi des techniciens, des enseignants… Il faut que les jeunes s’engagent et considèrent la physique comme une science pour eux.
En raison des différentes réformes de l’enseignement dans le secondaire, il y a une forte baisse du nombre d’élèves qui étudient la physique au lycée : 30 % des élèves de la filière générale font aujourd’hui de la physique en Terminale, à comparer à un peu plus de 50 % en 2019. Le ministre de l’Education nationale a parlé récemment de l’importance des mathématiques et du français, mais la physique devrait aussi avoir une place plus importante.
Elle est essentielle pour les citoyens et pour les politiques, car il y aura des arbitrages importants à faire dans les années à venir : par exemple concernant les énergies renouvelables ou le nucléaire. De nombreux sujets de société (l’énergie, le climat, la mobilité…) peuvent trouver une partie de leur solution dans la physique.
C’est une discipline qui fait souvent peur. Pourquoi ?
En primaire, la plupart des enseignants ont une formation davantage littéraire que scientifique, donc peuvent se sentir moins à l’aise en physique, et les élèves peuvent le sentir. C’est un premier élément de réponse, mais pas le seul : il y a aussi la responsabilité de la communauté scientifique, qui a jusqu’ici un peu négligé d’expliquer l’importance de la discipline.
La physique rappelle à certains des souvenirs scolaires peu flatteurs, ou alors fait l’objet d’une fascination pour les figures célèbres qu’on présente comme des « génies » : Albert Einstein, Isaac Newton, Stephen Hawking, Marie Curie… Dans les deux cas, elle intimide !
Les filles en particulier ont tendance à ne pas oser se diriger vers des études scientifiques…
L’inclusion des filles en physique est très haut dans notre liste d’objectifs pour l’Année de la Physique. On souhaite vraiment que les jeunes filles se posent la question « Pourquoi pas moi ? » Pour cela, il faut présenter des physiciennes accomplies. Le prix Nobel récent décerné à Anne L’Huillier est d’ailleurs une excellente nouvelle à cet égard : son humilité est remarquable et sa défense du collectif est à souligner.
Il faut aussi présenter aux jeunes filles des femmes qui exercent différents métiers dans le domaine physique : des chercheuses, des enseignantes, des ingénieures, des techniciennes… Par exemple, pour faire connaître le métier de chercheuse, la personne idéale est une jeune doctorante, car c’est immédiatement plus facile pour la lycéenne de se projeter dans la même situation avec quelques années de plus, plutôt qu’à travers le modèle d’un physicien, homme et senior.
On essaie de rendre cela possible à travers différents dispositifs mis en place pendant l’Année. Par exemple, on propose aux enseignants d’organiser pour leurs élèves un entraînement au “grand oral” du bac à partir de deux livres que nous avons publiés, « Étonnants infinis » et « Étonnante physique. » Ce dernier livre a été écrit par les médaillés du CNRS de ces dernières années. Ces auteurs et autrices se rendront dans les lycées ; il sera demandé aux élèves de s’approprier un de leurs articles et de l’exposer, à l’oral, devant eux. Ils pourront être accompagnés par des collègues de différents métiers issus du même laboratoire de physique pour ensuite interagir avec les lycéennes et lycéens. On souhaiterait que des femmes notamment profitent de cette occasion pour montrer leur goût pour la physique.
Justement, quelles actions principales sont prévues pour cette Année ?
Je ne peux citer ici que quelques exemples parmi les très nombreuses actions de tous les partenaires. Il y a par exemple l’opération « Grand oral » et le livre « Étonnante physique. » Il y a aussi une bande dessinée, à paraître début 2024, où l’illustratrice décrit la vie de laboratoire, à travers les portraits de 12 physiciennes et physiciens de différents métiers. Elles et ils abordent plusieurs façons de faire de la recherche sur les lasers, sur les mousses ou sur les peintures rupestres. Au passage, la bande dessinée aborde subtilement des questions sur le rôle de l’enseignant, le doctorat, la parité ou la manière dont on dirige un laboratoire. C’est aussi une manière de montrer que de nombreuses compétences existent au sein d’un même laboratoire.
Nous organisons également un concours de livres, « Science pour tous » dont la remise de prix aura lieu à l’Académie des Sciences. Les élèves de primaire, de collège et de lycée pourront ainsi lire des ouvrages sur des thématiques scientifiques et élire leur préféré.
Il y a eu aussi tout un travail sur la « malle Curie » : Marie Curie avait développé des expériences pour expliquer des concepts de la physique à ses propres enfants, qui ont par ailleurs eu des destins remarquables. Une malle pédagogique a été développée en s’en inspirant, faite pour circuler dans les établissements scolaires.
Le 2 avril, il y aura aussi la Nuit de la physique.
Tous les évènements, qu’ils soient ouverts aux scolaires ou au grand public, sont listés sur le site de l’Année de la physique. Certains ont lieu à Paris mais il y en a aussi dans de nombreuses autres villes, en région et en outre-mer. Chacun peut trouver les actions qui l’intéressent, proches de chez lui. Même si nous allons tout faire pour que cette dynamique soit prolongée au-delà de cette année spéciale, c’est vraiment le bon moment pour s’éveiller à la physique.
Et pour les enseignants ?
Pour les enseignants, des formations sont proposées, et se déroulent en deux parties : une présentation par deux ou trois scientifiques sur la physique d’aujourd’hui et ses enjeux, puis la visite d’un laboratoire du CNRS l’après-midi.
Les enseignants ont besoin d’illustrer leurs cours d’exemples non seulement réels mais actuels. Ces formations, organisées en partenariat avec les inspecteurs d’académie, seront à n’en pas douter des moments privilégiés pour rencontrer des personnels des laboratoires, mais aussi pour s’ouvrir l’esprit sur les sujets étudiés aujourd’hui, qu’ils pourront ensuite évoquer avec leurs élèves.
Attirer de nouveaux élèves vers la science, leur enseigner la démarche scientifique et les armer contre les fakes news ou les raisonnements biaisés est probablement urgent pour que notre société reprenne les rênes de son avenir. Les enseignants et le monde de la recherche ne peuvent que bénéficier de travailler davantage en synergie.
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