Emilie Frèche est autrice et scénariste. Elle a écrit Le Professeur, une pièce de théâtre qui retrace les derniers jours de Samuel Paty avant son assassinat en 2020. La pièce a été présentée pour la première fois au festival Paroles Citoyennes en avril 2024, avec Charles Berling dans le rôle de Samuel Paty.

Comment est née l’idée de cette pièce ? Pourquoi avoir choisi le théâtre comme vecteur pour retracer cette tragédie ?

J’ai immédiatement été happée par cette histoire tragique, sans doute parce qu’elle nous renseignait moins sur le visage du terrorisme qu’elle nous tendait un miroir : celui de nos renoncements successifs. De « nos compromis suicidaires », pour reprendre le titre d’un texte que j’ai écrit il y a 20 ans afin de commenter le rapport Obin sur les manifestations religieuses à l’école (et que l’on peut trouver dans le livre L’école face à l’obscurantisme, paru chez Max Milo.)

J’ai décortiqué la presse, et tout de suite, j’ai eu envie d’écrire. Le théâtre s’est imposé naturellement, sans doute parce qu’il me permettait de faire revivre Samuel Paty le temps de la représentation. De lui redonner un corps, une voix.

Comment avez-vous procédé pour l’écriture, de qui vous êtes vous entourée ?

J’ai travaillé seule dans un premier temps, avec pour seule source la presse. Et puis quand j’ai terminé, je suis entrée en contact avec Mickaelle Paty, la sœur de Samuel Paty. Je voulais être certaine que le texte ne la blesserait d’aucune manière. Elle m’a aidée à préciser les choses, m’a donné des détails que j’ignorais et que j’ai intégré pour être le plus fidèle possible à la réalité.

Quel est votre sentiment sur l’état actuel de l’universalisme « à la française » ?

J’ai le sentiment que la jeunesse n’y croit plus car la promesse d’égalité qui l’accompagne n’a pas été tenue, et qu’elle oppose aujourd’hui à la philosophie des droits de l’Homme celle des minorités pour plus d’efficacité. Mais le résultat, c’est que chacun est assigné à son identité et doit parler depuis sa place. Il en résulte une société qui tend à se communautariser et dont la fraternité est la grande victime. Est-ce que chacun veut vivre dans son couloir ? Je ne crois pas. L’universalisme est une valeur magnifique. Il faut la défendre, la promouvoir, mais pour qu’elle ne soit pas une coquille vide, il faut plus de justice sociale.

Quelle est l’ambition de cette pièce ? qui espérez vous toucher ?

C’est difficile, à ma place, de répondre à cela. On ne se pose pas la question de la réception de ce que l’on écrit quand on écrit. On répond simplement à une nécessité intérieure. À une obsession. Je crois qu’au-delà de l’histoire de Samuel Paty, j’ai écrit une pièce sur la solitude d’un homme, sur l’absurde, et sur l’injustice.

A quel défi fait face l’institution scolaire aujourd’hui ?

Celui d’assumer que l’École n’est pas seulement le lieu d’apprentissage des savoirs, mais celui où l’on forme des futurs citoyens. Les islamistes, eux, le savent très bien. C’est la raison pour laquelle ils attaquent l’institution. Pour que les adultes de demain ne soient pas formés à l’esprit critique, à la tolérance, à la liberté d’expression, au droit au blasphème.

Le défi de l’École, c’est d’assumer de promouvoir pleinement nos valeurs républicaines. Et que ceux qui n’y adhèrent pas mettent leurs enfants dans des écoles confessionnelles. Ils ont toujours cette liberté. Mais l’école de la République doit offrir à chaque enfant la possibilité (pas l’obligation) de s’émanciper de son milieu d’origine.

Où peut-on trouver votre texte ? Y aura-t-il des représentations ?

Le professeur paraîtra chez Albin Michel en octobre prochain, et la pièce devrait se jouer courant 2025.

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