Quelles solutions pour recapter l’attention des étudiants distraits en cours par l’ordinateur ? Image : Getty

Que ce soit dans les amphis des universités ou dans les écoles supérieures, bon nombre d’étudiants utilisent un ordinateur portable pendant les cours. L’appareil connecté présente divers atouts : partage et modification de documents, recherches sur le web, recours à des logiciels, prise de notes rapide… Pourtant, il y a aussi un revers à la médaille. Des professeurs d’université se plaignent du manque de concentration de leurs étudiants qui sont tentés de profiter de leur ordinateur portable pour surfer sur Internet, voir les infos, aller sur les réseaux sociaux, faire des achats en ligne, jouer ou visionner des séries… Même les étudiants qui souhaitent écouter les cours peuvent être distraits par les écrans de leurs camarades.

L’usage unique de l’ordinateur : Un impact négatif sur l’apprentissage ?

De l’autre côté des écrans, les enseignants ne voient pas ce qu’il se passe mais se doutent que leurs étudiants font parfois autre chose pendant leur cours. Une situation que rencontre Philippe Cabon, maître de conférences en ergonomie à l’université Paris Cité. « Je vois bien que les écrans sont source d’interruption… J’ai appris récemment qu’une boucle WhatsApp s’était créée et que mes étudiants discutaient entre eux des autres cours ou des dossiers qu’ils devaient rendre. Ils ne sont pas présents à 100 % », confie-t-il. Olivier Esteves, professeur des universités, cultures et sociétés anglophones à l’Université de Lille et à Sciences-Po Lille, écrivait déjà une tribune à ce sujet en 2018 sur le site de Libération. Il nous confie : « Pendant les cours magistraux, c’est compliqué d’enseigner dans une langue étrangère tout en devant fliquer les étudiants, surtout quand on a un public de Licence qui n’a pas une maîtrise solide de l’anglais. L’amphi prend vite des allures de cybercafé ». Outre la difficulté à se détourner des contenus intéressants proposés par les algorithmes, plusieurs études, dont une de l’Université norvégienne de Sciences et de Technologie de Trondheim, publiée en 2020, mettent en exergue un autre problème : la prise de notes sur ordinateur est moins efficace que la rédaction manuscrite. Celle-ci, tout comme le fait de dessiner, active davantage les zones du cerveau impliquées dans l’apprentissage et la mémorisation de nouvelles informations. Un atout dont se passent donc certains étudiants…

Par ailleurs, l’habitude d’avoir sous la main une mine d’informations peut aussi affecter la nécessité de retenir les enseignements. En contrôle continu, Philippe Cabon donne désormais un devoir sans accès à Internet. « Quand ils n’ont pas ces ressources numériques à leur disposition, le travail de certains étudiants est d’un niveau vraiment très faible tant sur le fond que sur la forme », déplore-t-il.

Manque d’attrait des cours, mauvaise habitude...


Pour justifier leur inattention, certains étudiants expliquent avoir déjà reçu les cours en pdf, le cours magistral n’étant qu’une simple relecture par le professeur. Du côté de la Fédération des Associations Générales Étudiantes (Fage), on pointe également du doigt l’anxiété actuelle des étudiants. « Parfois, les cours sont le seul moment où des étudiants peuvent relâcher la pression car ils se salarient des heures chaque jour ou passent des heures en distribution alimentaire. De plus, les méthodes pédagogiques adoptées sont souvent largement dépassées et ne permettent pas aux étudiantes et étudiants d’avoir une attention maximale pendant plusieurs heures d’affilée ». Olivier Esteves s’efforce justement de rendre ses cours attractifs en variant les supports, en faisant circuler la parole, en plaisantant… Pourtant, « dès le premier cours, les étudiants faisaient autre chose derrière leurs écrans. Ils ne me laissaient pas le temps de faire mes preuves et de les captiver », regrette-t-il. Et cette distraction n’est pas pour autant due à un manque d’intérêt pour les études car le professeur l’a aussi constatée dans des cursus sélectifs en Master 2 ou à Sciences Po.

Interdire les écrans en cours, la solution ?

Dans une chronique publiée le 15 janvier 2024 sur le site de Les Echos, Julien Darmon, sociologue et enseignant à l’école des Ponts ParisTech et à HEC, confronté lui aussi à ces problématiques, proposait de bannir les ordinateurs en cours et de reprendre papier et crayon pour lutter contre cette déconcentration généralisée. A l’heure actuelle, il n’y a pas de préconisation. Chaque établissement et chaque professeur est libre d’accepter ou d’interdire les ordinateurs en cours. Olivier Esteves les a supprimés. « Les meilleurs étudiants trouvent ça génial. Les cours sont plus vivants, l’ambiance est meilleure car j’ai moins l’impression d’être un gardien de prison et ça me permet d’être plus efficace », constate-t-il. A la Fage, on n’envisage pas cette option : « À l’heure où un étudiant sur cinq ne mange pas à sa faim, la priorité n’est pas la suppression d’outils quotidiens et nécessaires à certains étudiants, notamment quand les formations se permettent de demander des ouvrages qui ne sont parfois gratuits qu’en ligne ». Philippe Cabon, lui, n’envisage pas d’interdire les ordinateurs au risque de révolter ses étudiants. Sa solution ? Les rendre plus acteurs de l’enseignement grâce à la classe inversée notamment ou au travail en petits groupes. Il les interpelle davantage pendant les cours, « pas pour les mettre sous pression mais plutôt pour leur demander leur avis, pour échanger ». Et d’ajouter : « On ne peut plus enseigner comme autrefois avec un professeur qui parle et des étudiants qui se contentent d’écouter. Interdire l’ordinateur en cours, ce serait aller à l’encontre d’une évolution inévitable. Il faut plutôt réfléchir à la manière d’intégrer ces nouvelles technologies à nos enseignements. Et avec l’intelligence artificielle, le challenge va être encore plus fort ! », conclut-il.