Le baromètre indique une hausse des attitudes irrespectueuses des familles vis-à-vis des personnels, surtout dans le premier degré. Image : Getty

La détérioration du climat dans les établissements se confirme. Vous notez une hausse de 7 % des dossiers requérant l’accompagnement de L’ASL. A quoi correspondent ces dossiers ?

Ces dossiers sont de deux natures : nous avons les dossiers de Renseignements Juridiques Personnalisés (RJP) et les dossiers de Protection Juridique Professionnelle (PJP, les cas les plus graves, ceux avec judiciarisation, Ndlr). Les RJP représentent la majeure partie de nos dossiers et témoignent d’un climat vraiment dégradé. Les personnels de l’Éducation nationale se posent de plus en plus de questions juridiques par rapport aux situations rencontrées au quotidien, principalement dans les relations avec les familles et les élèves. Il y a souvent une demande excessive des familles, voire des attitudes irrespectueuses vis-à-vis des personnels. C’est particulièrement vrai dans le 1er degré où ils sont en contact direct et quotidien avec les enseignants.

On constate des agressions directes des familles mécontentes, qui exigent qu’un service leur soit rendu personnellement pour leur enfant alors que c’est un service public qui s’adresse à la nation. Ces dégradations dans les relations s’observent aussi entre collègues. On nous contacte par exemple pour un refus d’un chef d’établissement d’organiser une sortie scolaire. Mais on découvre ensuite que ce motif dissimule une relation dégradée depuis très longtemps, faute de confiance mais aussi parce que tous les personnels sont pris dans une masse d’injonctions contradictoires. N’ayant pas d’autres interlocuteurs, c’est entre eux que le conflit explose.

Quelles différences notables relevez-vous entre le 1er et le 2nd degré ?

Outre ces altercations directes avec les familles dans le 1er degré, il y a aussi un problème dans la qualité de l’inclusion des enfants en situation de handicap reconnu ou à venir. Ce problème ne vient pas de l’école mais des autres acteurs qui sont totalement absents dont l’ARS. Il n’y a pas de soutien des équipes médico-pédagogiques. Dans le 2nd degré, les élèves sont les premiers à entrer en conflit avec les enseignants et il y a un climat dégradé au sein de la classe.

On a également des questions liées à la sélection progressive des élèves au moment du passage des examens. Avec le contrôle continu, on a vu arriver une tension des familles et des élèves quant à leurs résultats, sans parler des problèmes classiques de l’adolescence et la recherche des limites.

Ce qui est plus nouveau, c’est l’utilisation sauvage des réseaux sociaux. On a une explosion des agressions par ce biais vis-à-vis des enseignants et du monde éducatif en général.

Les dossiers de Protection Juridique Professionnelle sont en hausse de 3,8 %, en particulier pour diffamation (+3,93 points). Pourquoi ?

La diffamation a pris une ampleur avec les réseaux sociaux qui amplifient les propos et en font une affaire inarrêtable dans l’instant.

Retrouver l’auteur et faire en sorte que l’éditeur intervienne prend énormément de temps. Cet effet est délétère sur les collègues qui se demandent pourquoi on ne peut pas intervenir immédiatement. Les familles ou les élèves n’ont aucune notion de ce qu’est le droit et le respect de l’individu. Ils s’en rendent compte quand ils sont pris dans les mailles du filet juridique. Il faudrait, en dehors de l’école, qu’il y ait une éducation populaire à la loi.

Les demandes de Renseignements Juridiques Personnalisés sont en hausse de 10,4 % pour l’année scolaire 2023-24 par rapport à l’année précédente, notamment en raison des situations de conflits (22,4%). Comment l’expliquez-vous ?

On l’explique par le fait que les personnels en souffrance ont peu d’interlocuteurs pour les aider, les conseiller sans les juger. Depuis cent-vingt ans, L’Autonome de Solidarité Laïque fait ce travail. Nous sommes des pairs qui parlent à des pairs. Ils s’adressent à nous car il y a un rapport de confiance, nous connaissons le milieu. Nous pouvons répondre à des questions qui dépassent le cadre pédagogique et qui touchent au juridique. Nous formons nos équipes au droit, à la réglementation pour qu’elles puissent répondre à ces questions. On observe une dégradation du suivi que pourrait faire l’institution vis-à-vis des personnels. Les services RH des académies sont dans un état de délabrement qui les empêche de suivre autant de personnels que nous le faisons. On accompagne plus de la moitié des personnels du monde de l’éducation.

Cette année, le baromètre offre une vision plus ciblée par région et académie. Quel constat en tirez-vous ?

Les grandes villes sont bien évidemment les plus impactées. Mais il y a des surprises puisque certaines d’entre elles, comme Paris (18ème place), n’arrivent pas en tête du classement. Grenoble est dans la tête du classement en 6ème position mais c’est proportionnel à un nombre de dossiers et à leur typologie. L’académie de Bordeaux arrive en 9ème position alors qu’elle n’est pas réputée pour être une des plus difficiles. Ce qui se dégage aussi c’est que ces difficultés concernent surtout le 1er degré, quelles que soient les académies. Or les tensions qui existent dans le 1er degré sont souvent invisibilisées par les médias.

L’ASL forme les professionnels de l’Éducation à la prévention de ces problèmes. Comment en bénéficier ?

Notre objectif, c’est de prévenir grâce à la formation sur la culture juridique. Nous avons formé 10 000 personnels l’an dernier sur nos ressources propres mais cette formation devrait être donnée à tous les personnels. On s’imagine souvent que cela concerne les chefs d’établissement mais c’est une erreur car les enseignants du 1er et du 2nd degré sont les premiers confrontés à ces remises en cause qui peuvent prendre des natures juridiques. Ils doivent être formés en priorité. Cette formation doit pouvoir se faire tout au long de la carrière car les lois évoluent. L’État devrait s’appuyer plus fortement sur des associations comme la nôtre pour former ses personnels. Quand nous donnons des formations au-delà de nos seuls adhérents, nous le faisons dans un cadre institutionnel, c’est la raison pour laquelle nous avons passé un accord avec l’État mais l’association le fait sur fonds propres et il n’est pas concevable d’envisager un développement sans participation de l’état.

Si un personnel est victime d’agression, de diffamation ou autre, quel réflexe avoir ?

Nous réclamons que l’État assume son rôle de protection en tant qu’employeur, autrement dit l’activation immédiate de la protection fonctionnelle. Or, souvent les collègues doivent attendre plus de deux mois pour avoir une réponse, parfois négative. Dans le cas d’une diffamation, le collègue est perdu pendant ces deux mois, ignore comment se comporter et être défendu. C’est là qu’il nous contacte. Donc le premier réflexe, c’est de demander la protection fonctionnelle mais le réflexe le plus efficace et rapide, c’est de contacter L’ASL.

Sur chaque département, nous avons une délégation dont les coordonnées sont disponibles sur notre site ou sur le net. L’État, depuis deux ou trois ans, communique sur ses chiffres et se vante d’être de plus en plus efficace sur la protection fonctionnelle. Je mets en défaut cette affirmation. Ce chiffre est à relativiser.

L’augmentation des demandes de protection fonctionnelle faite par les collègues, souvent sur notre sollicitation, ne reçoit pas de réponses satisfaisantes ni en termes de rapidité ni au bout du bout sur le taux d’octroi réel. Si l’on prend nos chiffres, sur 471 demandes en accompagnement qui nécessitent l’intervention d’un avocat conseil et qui s’accompagnent d’une demande de protection juridique, seuls 27 % ont reçu un avis positif. Et pour les RJP, nous sommes encore plus bas avec seulement 17 %. Travaillons autour de cette question de la protection fonctionnelle. Et redisons-le, nous remplissons pour l’État, gracieusement, une partie de sa mission de protection inscrite dans le cadre de la protection fonctionnelle.

Il est temps que l’État assume le fait qu’il ne peut pas tout et qu’il doit s’appuyer sur des partenaires historiques de l’école de la république. Les associations sont une richesse nationale et la nôtre tout particulièrement par son objet social. A l’heure des budgets contraints et des atteintes toujours plus nombreuses aux piliers de notre république, un regard nouveau doit être porté sur l’action forte des associations au service du monde de l’éducation.