Vous avez coordonné l’ouvrage « Enseignants : le grand déclassement ? ». Qu’est-ce qui en a motivé l’écriture ?

La motivation première, c’est de donner à connaître au grand public les résultats de la recherche  concernant la profession enseignante car ils sont désormais mieux connus et documentés. On le voit dans l’actualité, c’est un groupe professionnel dont il est souvent question dans les prises de décision, les réformes et qui est impacté par l’instabilité politique avec la récente succession des ministres de l’Éducation Nationale. Beaucoup de gens parlent à la place des enseignants. Dans ce contexte, notre ouvrage permet de remettre un peu d’objectivité. Et puis, il y a aussi beaucoup d’idées reçues sur le métier, sur ce que font les enseignants au travail, leurs difficultés, leur rapport à la fonction publique… Il y a un décalage entre ce que l’on sait grâce aux enquêtes réalisées et les idées qui circulent dans la société. L’ouvrage porte un regard distancié dessus.

Vous revenez sur la question de la vocation. On le voit, globalement, le métier peine à attirer et recruter. A quoi l’attribuez-vous ?

Nous avons essayé de distinguer la crise des vocations de celle des recrutements. Il y a certes moins de candidats aux concours mais il existe toute une population qui veut exercer le métier. Celle-ci peut être freinée dans son envie par des conditions d’emploi et de travail qui sont faiblement attractives. Par exemple, certains salariés en reconversion aimeraient bien devenir enseignants mais trouvent les salaires trop bas, ou bien les conditions d’affectation et de mobilité géographique représentent une trop grande contrainte par rapport à leurs possibilités… On croise donc des personnes qui ont la vocation mais qui sont freinées dans la concrétisation de leur projet.

Le déclassement, c’est aussi un statut social plus faible. Pourquoi le métier est-il moins bien perçu par la société ?

Cette dévalorisation sociale de l’enseignement n’est pas nouvelle. Certes à un certain moment, on a pu percevoir les enseignants comme privilégiés du point de vue de leurs conditions de travail mais ça a toujours été un groupe professionnel entre deux, c’est-à-dire à la fois perçu comme privilégié sur certains aspects et moins sur d’autres. Par exemple, leurs salaires ont toujours été considérés comme assez faibles. La société comprend davantage de diplômés et de cadres qui sont mieux rémunérés qu’eux.
Le déclassement provient également d’une autre conception du service public avec davantage de responsabilisation de ses agents. Les méthodes issues du secteur privé se sont déployées et les enseignants doivent davantage individualiser, différencier, évaluer, rendre des comptes, créer des partenariats, faire du « management de projet » sans avoir plus de temps ou de formation pour cela… Ça a alourdi leur travail quotidien.

Est-ce que la diffusion des mauvais résultats des élèves aux évaluations participe à cette dégradation de l’image des enseignants ?

Ça peut y participer mais quand ils travaillent dans leur classe, les enseignants se sentent souvent assez à distance de ces grandes enquêtes internationales. Par contre, des recherches montrent que dans les pays qui ont connu une dégradation de leurs résultats aux enquêtes PISA, le sentiment de valorisation sociale que les enseignants ressentent a pu baisser.

« Le déclassement des enseignants provient aussi d’une conception du service public se rapprochant de plus en plus du privé. » Image : Getty

Le métier se précarise. On recourt davantage aux contractuels pour enseigner. Est-ce que cela bouleverse la profession ?

Pour l’instant, on ne peut pas dire que les contractuels viennent bouleverser les carrières enseignantes ou leurs statuts d’emploi en France. Les carrières restent très majoritairement liées à la réussite du concours et la régulation centralisée des carrières par la suite. Néanmoins, on observe de plus en plus de contractuels parmi les nouveaux enseignants. On remarque aussi une sorte de banalisation, de démarginalisation de ces enseignants contractuels. On les retrouve dans tous types d’établissements, de disciplines, aussi bien dans le 1er que le 2nd degré alors que pendant longtemps ils étaient surtout présents dans le 2nd degré. Dans l’ouvrage, Xavier Pons fait également état d’une forme d’institutionnalisation des enseignants contractuels avec un certain nombre de services qui leur sont associés dans les rectorats. Par exemple, dans le cadre des ressources humaines de proximité, on cherche à recruter ces profils pour répondre directement aux besoins dans certaines filières.

Pourquoi y a-t-il davantage de contractuels parmi les jeunes enseignants ? 

Ça s’explique principalement par le manque de candidats aux concours et le maintien d’un certain niveau de sélectivité, ce qui est la logique même des concours. Pour pouvoir trouver des enseignants, on recrute des contractuels. Ces derniers temps, même si la recherche n’est pas encore très précise sur ce point, il semblerait qu’il y ait des politiques actives de contractualisation visant à recruter des profils de contractuels sur certains types de postes. Dans certaines disciplines ou académies, trouver suffisamment d’enseignants pour répondre aux besoins, c’est très compliqué. Dans certains rectorats, quand on manque de titulaires et que des contractuels donnent satisfaction, on peut être tenté de les reconduire dans leurs fonctions et de les fidéliser. Certains veulent rester en contrat car ils apprécient ce statut et ne veulent pas devenir fonctionnaires titulaires.

C’est parfois aussi une manière de rester dans son département…

Oui ce statut peut représenter un côté pratique, si ce n’est stratégique, quant au lieu de travail. Cela dit on a aussi des formes de stratégie chez les titulaires pour se rapprocher d’une académie, ou même d’une école, d’un collège ou d’un lycée vers lequel on a envie d’aller. Mais le statut de contractuel reste très instable. Dans les enquêtes, les contractuels expriment d’ailleurs souvent la volonté de passer le concours pour se stabiliser et pouvoir se projeter à plus long terme. Les contrats en établissement peuvent être une manière de se forger une expérience à valoriser au moment des concours.

Votre ouvrage met en avant la pédagogie Montessori comme une manière de tenter de revaloriser le métier. En quoi ?

Dans les écoles primaires, les pédagogies Montessori bénéficient d’une bonne image dont les enseignants peuvent se servir pour valoriser leur métier. C’est en particulier le cas des enseignants qui ont connu une reconversion professionnelle avec un certain déclassement, notamment salarial. Ça peut être aussi des enseignants assez avancés dans leur carrière qui sont confrontés à des conditions de travail plus compliquées que par le passé. Ils trouvent dans la pédagogie Montessori à la fois de nouvelles techniques, souvent considérées comme assez efficaces, et un surplus de valorisation sociale. Cette valorisation est notamment due à l’image d’enseignant pédagogiquement « engagé » qu’elle véhicule. Il est possible que d’autres types de pédagogies puissent susciter ce même type de « profit de distinction », pour reprendre l’expression utilisée dans l’ouvrage par la chercheuse Frédérique Giraud qui se concentre sur la pédagogie Montessori, dans laquelle celui-ci est particulièrement saillant.