Dans « Apprendre », vous suivez des enfants du groupe scolaire Anton Makarenko à Ivry-sur-Seine. Comment est né ce projet ?
J’avais fait, il y a longtemps, un film centré sur la récréation en école maternelle (1991, « Récréations », Ndlr). Là j’avais envie de filmer une école primaire en banlieue parisienne car c’est l’école où ça devient sérieux, où il faut davantage obéir… Au départ, j’étais plus partie sur l’idée de la récréation et puis ça s’est étendu aux salles de classe.
On me dit souvent qu’il y a plein de films sur l’école mais un film sur une école primaire en banlieue, il n’y en a pas. La banlieue, c’est très important dans toutes les villes, c’est ce qui fait l’essentiel de la population. Le film « Être et avoir », qui a connu un beau succès, se passait à la montagne avec un seul professeur. Ici, ça se déroule en banlieue avec des enfants d’immigrés et sept professeurs, c’est donc le contre-pied absolu de ce film. C’est l’autre monde.
Après « Récréations » (sur les rapports enfants-adultes dans une école maternelle), « Le Concours » (sur l’école de cinéma Fémis) et « Premières solitudes » (sur la vie de lycéens), c’est de nouveau un film en lien avec le monde scolaire. Pourquoi cet attrait ?
Ce qui m’intéresse avant tout, plus que le monde de l’éducation en lui-même, c’est les jeunes gens. J’adore filmer les enfants et les jeunes, ceux pour qui toutes les expériences de la vie sont de l’ordre de la première fois. Ils vivent en apprenant chaque jour des choses à l’école et en dehors. Ça me touche beaucoup car il y a de la découverte, de l’enthousiasme, quelque chose qui est très exaltant et important car les enfants c’est le futur.
Comment s’est fait le choix de ce groupe scolaire ?
Au début, je pensais tourner dans une école de Montrouge qui était géniale. La directrice, les enseignants étaient très sympas mais la taille de la cour de Makarenko m’a beaucoup intéressée car elle était immense. J’avais l’impression qu’il s’y passait énormément de choses et il y avait beaucoup de mixité sociale.
Vous avez tourné à hauteur d’enfant, sans voix off, sans musique extradiégétique. Pourquoi ce parti pris ?
J’aime le cinéma, je ne fais pas un reportage pédagogique. J’aime que les téléspectateurs soient plongés dans une histoire, dans un monde. Ça aide à revenir un peu à cet enfant qu’on a tous été : on est tout seul dans la cour, la maman s’en va, on est inquiet et puis un enseignant nous prend par la main et voilà, ça commence.
Comment avez-vous procédé pour le tournage ?
J’étais avec Pierre Bompy, mon ingénieur du son. J’avais une caméra très mobile, tout à fait visible des enfants. Pour faire un documentaire, ça ne sert à rien d’être discret. J’ai expliqué aux enfants que s’ils commençaient à me faire « coucou », ce n’était pas intéressant. J’y suis allée pendant trois mois, tous les jours scolaires, si bien qu’on faisait partie du décor et j’ai pu tourner tout ce que je voulais. C’est l’invitation, l’acceptation qui compte.
Comment le projet a-t-il été accueilli ?
Certains professeurs et parents n’ont pas souhaité y participer de peur de ce que ça donnerait. Mais le directeur et les sept professeurs d’école ont été particulièrement accueillants. On a fait deux projections du film, une pour l’école, l’autre à destination des familles et les retours ont été formidables. Tous se reconnaissent et sont fiers du film. Je m’en réjouis profondément. Ces personnes n’ont pas toujours des vies faciles et là, tout à coup, ils ont été reconnus. Les enfants se sont sentis dignes que l’on raconte leur histoire.
Pendant ce tournage, qu’est-ce qui vous a le plus surprise ?
Je ne m’attendais pas à tant de beauté. J’étais hyper impressionnée par l’exigence et la bienveillance des professeurs, par la volonté des enfants d’apprendre, leur désespoir quand ça ne marchait pas. Ce qui m’intéressait c’était l’école de la République, ce qui ressemble à une agora, comment on fabrique du pays. Quand le carnaval se balade dans la ville, j’ai trouvé ça magnifique. Je me suis dit : c’est l’école qui fait la ville, c’est ce qui cimente la cité. J’étais super touchée.
Je m’attendais à filmer des conflits, peut-être des bagarres mais non. Le directeur m’a dit que la violence de la cour avait baissée de 80 % car l’équipe travaille la médiation. Je n’avais pas l’intention de faire un film qui vante cette école, j’ai juste montré ce qui s’y passait et ce que j’ai ressenti.
Le groupe scolaire Anton Makareno a un partenariat avec l’école alsacienne autour de la musique. Ce contraste vous a interpelée ?
Bien sûr. Chaque fois qu’on est plongé dans une école, on ne se rend plus compte de l’extérieur. Là on voit la différence de classe sociale. C’est un partenariat qui existe depuis longtemps entre ces deux écoles pour découvrir un autre monde, jouer ensemble de la musique. Moi je trouve ça bien et les parents soutiennent aussi ce partenariat. Mais quelque part, j’ai trouvé que cette différence sociale était aussi un peu humiliante.
Votre film a été présenté en séance spéciale de la Sélection Officielle du Festival de Cannes 2024. C’est important cette reconnaissance ?
C’est la première fois que je rentrais dans ce château-fort ! J’étais très heureuse d’y aller avec ces professeurs et directeur. C’était une grande fierté pour moi. Et puis, c’est une belle mise en avant pour l’école car c’est quand même l’une des choses les plus importantes qui soient. Les professeurs devraient d’ailleurs être beaucoup mieux payés et respectés car ils font un boulot extraordinaire. Ce sont les enseignants qui sont les civilisateurs. Si on n’est pas capable de bien les traiter et de les écouter, c’est grave. Enfant, moi j’étais dans une classe unique à la campagne dans le Var, ma mère n’était pas Française. C’est l’école qui m’a donné l’impression d’être une citoyenne. Et puis, contrairement à ce que montrent souvent les médias, on voit que les élèves aiment leurs professeurs.
Modération par la rédaction de VousNousIls. Conformément à la loi relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, vous disposez d'un droit d'accès, de modification, de rectification et de suppression des données vous concernant. Pour exercer ce droit adressez-vous à CASDEN Banque Populaire – VousNousIls.fr 1 bis rue Jean Wiener – Champs-sur-Marne 77447 Marne-la-Vallée Cedex 2.