Pour l’APDEN, il faudrait créer une agrégation pour les professeurs documentalistes, pour être à égalité avec leurs autres collègues certifiés. Image : Getty

Dans un communiqué paru en juin, l’A.P.D.E.N. faisait part de ses « craintes majeures » pour le métier de professeur documentaliste notamment par rapport au Capes. Pourquoi ?

Ce communiqué est paru en juin 2024 dans un contexte un peu particulier. À ce moment là, la réforme du Capes était poussée par la ministre d’alors (Nicole Belloubet, Ndlr) pour qu’elle soit mise en application lors de la prochaine session en 2025. On se précipitait vers un changement assez important dans le recrutement des professeurs sans avoir pensé à la manière concrète dont ça allait se passer. L’idée c’était de placer le concours à bac +3 en fracturant la troisième année de Licence. Diverses associations de professeurs ont pointé du doigt le faible niveau de recrutement que cela impliquerait. S’ajoutent à cela deux spécificités pour les professeurs documentalistes : comme il n’existe pas de Licence information-documentation, on ne voit pas quelle Licence peut préparer à ce Capes ni quel sera le profil de ces candidats en L3. On n’a toujours pas de réponse là-dessus. Le deuxième point, c’était la faible vérification de la maîtrise des savoirs disciplinaires. Dans la maquette qui avait fuité, il y avait très peu d’éléments qui touchaient aux sciences de l’information et de la communication qui est la discipline qui nous permet d’asseoir ce que l’on va faire avec les élèves. Si ces savoirs sont très vagues dans les épreuves, ils le seront aussi dans la préparation du concours et potentiellement dans le recrutement et l’exercice du métier.

L’association redoute également une transversalité de l’EMI (Éducation aux médias et à l’Information), pourquoi ?

Le Capes de documentation a été créé en 1989 et la première session a eu lieu en 1990. A cette époque, il n’y avait pas d’Internet dans les établissements scolaires et ça paraissait pertinent que les élèves apprennent à faire des recherches dans la bibliothèque du CDI. Trente ans plus tard, la question est différente : on accède à l’information assez facilement mais il faut être capable de l’évaluer, de la trier, de la chercher au bon endroit, de s’organiser etc. Au fur et à mesure, la profession s’est construite et les professeurs documentalistes sont devenus des spécialistes de ce domaine. Or si l’EMI devient transversale et que tout le monde peut en faire dans chaque cours à partir de ses pratiques et expériences personnelles, pourquoi donnerait-on les moyens aux professeurs documentalistes de l’enseigner ? On n’a pas obligatoirement des cours dans notre emploi du temps mais là on risque de passer au second plan et de perdre ce qui fait notre spécificité. L’un des rôles de l’association de l’A.P.D.E.N. est de faire le lien entre les travaux et études des chercheurs et les professeurs documentalistes. La transversalité risque d’être un obstacle à ce que l’on nous voie comme des experts en la matière.

Quelle est la situation actuelle du Capes de documentation ?

La dissolution a amené ce sujet au second plan. Pour la session 2025, on reste sur l’ancienne formule. Reste à savoir ce qui va se passer après. On ignore qui va préparer ce concours. Les inquiétudes ont été remontées mais il n’y a pas de réponse. Ce projet de réforme a été fait en se disant que beaucoup de concours peinaient à attirer mais le Capes de documentation est un petit Capes qui fait toujours le plein (396 présents en 2024 pour 122 postes et autant d’admis, Ndlr). Pour être sûr de recruter dans les autres matières, il faudrait plus de candidats potentiels en passant le concours à bac +3 au lieu de bac +5. Le concours du Capes de documentation risque de faire les frais des besoins des autres concours.

A l’heure actuelle, le concours du Capes vous convient-il ?

Le Capes est au niveau bac +5, au cours de la deuxième année de Master. Pour avoir vu beaucoup de stagiaires et d’étudiants devoir passer leur Master et préparer le concours la même année, je constate qu’ils finissent l’année lessivés ! Mais le problème serait le même si le concours était placé à la fin de la Licence. A mon époque, le concours était plutôt placé à l’équivalent du M1 ce qui me semble plus judicieux.

Et les épreuves en elles-mêmes, vous semblent-elles pertinentes ?

A l’heure actuelle, je trouve que oui. Il y a une vérification des savoirs académiques liés aux enjeux liés à l’information et la communication et aux sciences de l’éducation. Il y a des épreuves qui concernent la maîtrise de compétences professionnelles. Désormais comme les étudiants en Master effectuent pas mal de stages, quand ils sont interrogés sur les gestes professionnels qu’ils sont sensés avoir faits et vus, à l’oral ça permet au jury de s’assurer de leur employabilité.

Il n’y a pas d’inspection spécifique pour votre discipline. C’est un autre problème que vous soulevez…

Nous dépendons de l’inspection « Établissement et vie scolaire » qui est un héritage de l’histoire. Le CDI appartenant à l’établissement, on était considéré comme un service de la vie scolaire. On était lié aux lieux et aux meubles. Petit à petit, on s’en est dégagé. Mais quand des inspecteurs n’ont jamais été professeurs documentalistes, il y a parfois une incompréhension de nos missions, de notre métier et nous sommes parfois moins bien défendus. C’est donc une vieille recommandation de notre association mais comme nous n’avons pas d’agrégation, les professeurs documentalistes ne peuvent pas passer le concours d’inspection sauf en passant au préalable par la case chef d’établissement.

C’est ce qui amène l’A.P.D.E.N. à demander la création d’une agrégation de professeur documentaliste ?

Ça fait partie des raisons effectivement. Il y a également le fait d’avoir une certaine égalité entre les professeurs certifiés en documentation et les autres certifiés qui, eux, ont le droit d’avoir une agrégation. Cela veut dire un salaire plus important et la possibilité de former des cadres issus des rangs de professeurs documentalistes.

Quelle idée de programme auriez-vous pour cette agrégation ?

Dans les autres disciplines, on a un concours qui vise à vérifier une meilleure maîtrise des savoirs disciplinaires que pour le Capes, donc ce serait quelque chose de semblable. Il faudrait s’interroger sur l’intérêt d’avoir des professeurs documentalistes encore mieux formés sur l’éducation aux médias et à l’information. Quand ils sont sensés enseigner en post-bac par exemple, ça peut être intéressant d’avoir des agrégés. C’est un travail de pair que mène l’association depuis de nombreuses années. On prend le problème par tous les bouts mais notre entrée ce sont les besoins des élèves en culture et maîtrise de l’information.