Dans son rapport, l’inspection générale de l’Education nationale insiste sur le fait de « mieux connaître l’élève qui arrive en seconde », et donne des pistes pour le permettre. Image : Getty

Dans quel contexte et à quel dessein ce rapport vous a-t-il été commandé ?

Xavier Gauchard : Ce rapport s’intègre dans le programme de travail de l’inspection générale de l’année 2023-2024. Il n’y avait jamais eu auparavant de rapport sur la classe de Seconde. Pourtant c’est une classe centrale avec un palier d’orientation avant (choix entre lycée professionnel et lycée général et technologique) et un après (voie technologique ou générale, choix des métiers, des enseignements de spécialités ou de série). C’est une étape importante à un âge de la vie où les choses ne sont pas faciles. Notre mission a d’ailleurs repéré des difficultés assez importantes, notamment d’ordre psychologique, chez certains élèves. La crise sanitaire et le cyberharcèlement  ont accentué ce problème.

Cécile Bruyère : Notre objectif prioritaire pour ce rapport était de positionner l’élève de 2nde au centre dans toutes ses dimensions : sa scolarité, son orientation et son engagement.

Votre première recommandation consiste à formaliser la liaison collège-lycée, pourquoi celle-ci est difficile à l’heure actuelle ?

C. B. : Elle est difficile en raison de la marche à franchir, due aux différences d’approches pédagogiques, d’attentes scolaires… L’évaluation diffère aussi en 2nde, le nombre d’élèves par classe est plus important, il leur est demandé plus d’autonomie, ils doivent prendre des notes… Nous recommandons de développer le lien entre les enseignants de 3ème et ceux de 2nde pour que chacun connaisse mieux les élèves, afin de mieux les accompagner. Les professeurs de 2nde pourraient ainsi mieux connaître les élèves qu’ils vont accueillir en prenant connaissance du livret personnel de compétences du collège. Il pourrait y avoir des réunions avec les proviseurs, les professeurs principaux de 2nde et les CPE dans les collèges. Il s’agit aussi que les professeurs de 3ème aient des informations sur leurs élèves passés en 2nde. Ils pourraient recevoir leurs bulletins pour voir la réussite de leurs élèves et pour affiner leur pédagogie et leurs exigences en 3ème. Le principe serait d’approfondir ces liens comme on le fait déjà entre le CM2 et la 6ème.

Pourquoi n’est-ce pas déjà le cas ?

X. G. : On a pu observer qu’il existait déjà quelques initiatives. Les CPE sont par exemple assez engagés sur cette dynamique mais plutôt sur un suivi des élèves pour éviter des compositions de classe qui seraient explosives ou pour que les élèves à besoins particuliers soient mieux suivis. Il y a aussi des portes ouvertes, des ambassadeurs qui viennent dans les collèges pour parler du lycée. Certains établissements permettent aux professeurs principaux de 3ème de visiter les plateaux techniques pour la voie technologique par exemple ou des labos pour des voies professionnelles et technologiques. Nous proposons de développer ces initiatives et surtout de les formaliser dans le programme annuel de travail des professeurs de collèges et lycées

Votre rapport suggère d’améliorer l’identification et l’accompagnement des élèves les plus fragiles en s’appuyant sur des enseignants référents. Pourquoi ces profils ne sont-ils pas assez détectés ?

C. B. : Pour améliorer cette identification, il serait pertinent de mieux connaître l’élève quand il arrive en 2nde. Les classes sont de plus en plus hétérogènes avec des élèves qui possèdent des compétences différentes. Il est important d’accompagner les enseignants pour identifier ces élèves fragiles, de déterminer les notions ou comportements sur lesquels travailler pour améliorer leur réussite. Pour y parvenir, des tests de positionnement de 2nde sont proposés. Ils sont sous-utilisés dans les établissements or ils sont le bilan d’un travail très important de deux ans, dont une expérimentation d’un an. Les enseignants nous disent souvent qu’au bout de quinze jours après la rentrée scolaire, ils connaissent leurs élèves et c’est vrai, leur expertise est déjà très prononcée, mais le test de positionnement permet d’affiner celle-ci en ciblant plus précisément les notions maîtrisées ou non par les élèves individuellement. Et après les avoir identifiés, l’idée est de mettre en place une remédiation pour pouvoir accompagner les élèves en difficulté.

Est-ce que les enseignants vous ont dit pourquoi ils n’utilisaient pas davantage ces tests de positionnement ?

C. B. : Oui, car c’est un outil qu’il faut s’approprier, qui demande un travail d’exploitation. L’accompagnement des IA IPR (inspecteurs d’académie inspecteurs pédagogiques régionaux), des IEN (Inspecteurs de l’Éducation Nationale) peut permettre d’aider les enseignants à exploiter ces tests. Leur passation n’est pas toujours robuste et peut engendrer un manque de confiance chez les enseignants. Les chefs d’établissement peuvent installer un climat de passation qui soit propice à l’exploitation de ces tests. C’est un bon outil.

X. G. : Ces tests ont été bien conçus pour être des outils d’aide et permettre aux élèves les plus fragiles de prendre le train du lycée. Ils sont souvent vus comme des outils de pilotage. Cependant, certains enseignants doutent de la fiabilité des résultats. Il n’empêche qu’ils sont prédictifs de la réussite au lycée, davantage que la réussite du DNB (diplôme national du brevet, ndlr) par exemple, d’après la DEPP (Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance, ndlr).

Pourquoi y a-t-il davantage de profils hétérogènes ?

C. B. : Le fonctionnement de l’Éducation nationale est propice à la mixité sociale et à la mixité des publics. On est une école inclusive donc on inclut dans les classes tous les élèves (ceux à besoins particuliers, ceux dont les parents peuvent moins les accompagner etc.). C’est une très bonne chose mais ça demande à nos enseignants d’être experts pour gérer ces classes hétérogènes au niveau comportemental et pédagogique et ce n’est pas évident donc il faut les accompagner.

X. G. : Sur les résultats des évaluations nationales, on observe une augmentation du groupe des élèves ayant les résultats les plus faibles. Ça reste une problématique forte, on le voit bien avec la mise en place des groupes de besoins au collège et des classes différenciées toute l’année. Cette question se pose au collège et au lycée. On souhaite que la voie professionnelle soit une voie d’excellence vers un métier mais elle est parfois un choix par défaut, cela peut jouer sur l’hétérogénéité.

Quel serait le rôle des enseignants référents dont vous parlez dans votre recommandation ?

X. G. : Cela existe déjà en LGT « professeurs référents de groupe d’élèves » mais c’est surtout développé lors du cycle terminal pour suivre l’orientation d’un groupe d’élèves. Les tâches restent souvent administratives : organisation de devoirs communs, pilotage des conseils de classe… Ce serait bien qu’il y ait une plus-value pédagogique avec un enseignant référent sur le niveau 2nde qui puisse suivre les élèves repérés à l’aide des tests de positionnement, des résultats au DNB, parce qu’ils n’ont pas eu l’orientation choisie, qu’ils ont une fragilité psychologique… C’est une proposition à construire.

Vous proposez également de développer des temps de réflexion entre pairs et de formation sur les spécificités de l’enseignement en classe de Seconde…

C. B. : Effectivement. Dans cette recommandation, la réflexion entre pairs est plutôt liée à l’évaluation des élèves et la formation des enseignants concerne plus les spécificités de la classe de 2nde notamment l’hétérogénéité. Le projet d’évaluation est arrivé dans les classes de 1ère et Terminale. Il a permis aux enseignants de se réunir pour clarifier les attendus et définir une évaluation cohérente et équitable. C’est très positif et nous pensons qu’il serait bénéfique de l’installer également en classe de 2nde, où l’évaluation est aussi importante et très différente de la 3ème. L’idée étant de créer ces concertations entre pairs pour une meilleure évaluation des élèves. Quant aux spécificités de la classe de 2nde, c’est une classe dans laquelle on enseigne encore toutes les disciplines, et qui est hétérogène concernant les compétences scolaires et les envies d’orientation des élèves. Pour aider les enseignants à mieux gérer ces classes et à accompagner les élèves, il faut privilégier, selon nous, des formations continues sur le sujet via des formations d’initiatives locales (FIL) et lors de la formation initiale des enseignants.

X. G. : La réflexion entre pairs, c’est aussi réfléchir ensemble à des projets qui pourraient être mis en place sur la classe de 2nde. On a vu par exemple des projets de classe à 24, de classe colorée (mobilisée autour d’un projet spécifique susceptible de mobiliser les élèves : classe de 2nde professionnelle orientée « défense et sécurité globales », « éloquence », classe de 2nde générale et technologique colorée par des options « cinéma », « sciences de la mer »… ndlr).

Que vont devenir les recommandations de ce rapport ?

X. G. : C’est un rapport de l’inspection générale, qui est destiné à éclairer la ministre, qui décide de ce qu’elle en fait. Nous sommes là pour donner des éléments aux ministres, aux cabinets, aux directions générales. Ils vont revenir vers nous et ont déjà commencé à le faire. La réflexion sur le suivi des élèves fragiles et l’hétérogénéité est récurrente pour le collège et la 2nde et fera partie des futurs échanges mais on ne peut rien prédire de ce qui sera fait de ce rapport. Pour nous, c’est l’aboutissement d’un gros travail qui peut constituer une bonne ressource.

C. B. : Le rapport a été apprécié, publié, distribué aux recteurs, à la DGESCO (Direction générale de l’enseignement scolaire, ndlr), aux établissements interrogés… Nous en sommes très contents car cela signifie qu’il est accessible à tous et peut être utilisé par tous les acteurs de l’institution pour améliorer les points de vigilance que nous avons identifiés. Ça peut donner des idées sur ce qui fonctionne très bien. Le ministère décidera s’il y donne une suite nationale.