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Comment avez-vous perdu l’usage de votre voix ?
J’enseignais dans un établissement compliqué où je devais souvent crier. J’avais régulièrement des extinctions de voix, mais un jour, elle n’est plus revenue. J’ai consulté un ORL qui m’a d’abord diagnostiqué des nodules, rien d’alarmant. Mais après un mois sans amélioration, un autre médecin m’a dit : “Ce n’est pas normal, vous avez un kyste, il faut opérer.” J’avais aussi une vergeture sur les cordes vocales, qui provoquait un forçage constant. Sur le moment, j’étais sous le choc. J’avais 29 ans, je venais de commencer ma carrière, et on me disait : “Vous ne pouvez plus être prof, il faut changer de métier.” Mais j’avais tout donné pour en arriver là, il était hors de question d’abandonner.
Avez-vous été accompagnée par l’Éducation nationale ?
Je me suis tournée vers le rectorat, mais il n’y a pas de médecine du travail dans l’Éducation nationale, seulement une médecine de prévention. On m’a conseillé de devenir documentaliste ou de me reconvertir. Je voulais continuer à enseigner, mais il n’y avait aucune solution. J’ai dû les trouver moi-même.
J’ai fini par obtenir un aménagement de service via la MDPH (Maison départementale des personnes handicapées) : un emploi du temps allégé avec 15 heures au lieu de 18 heures. Mais cela impliquait d’être officiellement reconnue comme personne en situation de handicap, ce qui n’était pas simple à accepter à 29 ans. Cette situation a créé des tensions avec mes collègues. Mon emploi du temps aménagé avait un impact sur l’équipe enseignante, notamment pour les jours de repos. Comme mon handicap est invisible, certains avaient du mal à comprendre mon statut.
Comment avez-vous réussi à continuer à enseigner sans voix ?
J’ai cherché des solutions partout. Puis, j’ai fini par trouver, dans les livres, la pédagogie Freinet. Il avait lui-même perdu l’usage de sa voix après une blessure de guerre et avait développé une méthode où l’élève devient acteur de son apprentissage. Ça a été une révélation. J’ai aussi mis en place la classe inversée : les élèves découvrent les notions en autonomie grâce à des ressources en ligne et travaillent en groupe. Ils jouent, cherchent des indices, et apprennent sans s’en rendre compte. Moi, j’interviens seulement quand c’est nécessaire. Je n’aurai jamais pu enseigner aussi longtemps si je n’avais pas adopté ces pédagogies. C’est un moyen de les responsabiliser, ça me libère beaucoup de temps. Je pensais qu’être enseignant, c’était parler pendant une heure, en dire le plus possible. Avec cette expérience, j’ai appris qu’enseigner sans parler, c’est possible.
Quels effets ce changement de pédagogie a-t-il eu sur vos élèves ?
J’ai vu des élèves qui avaient le sourire, remplis de propositions. Ils ont créé des choses autour de la littérature. Ils sont plus investis, plus autonomes. Je prends le temps de les observer. Les activités sont réussies lorsque tout le monde participe, y compris les élèves en difficulté. J’ai aussi opté pour un micro en 2019, fourni par l’inspection académique. J’avais honte au début, mais avec le Covid et le port du masque, je n’avais plus le choix.
Aujourd’hui, où en êtes-vous dans votre parcours professionnel ?
Je sais que je vais devoir arrêter d’enseigner bientôt, c’est devenu trop risqué pour ma santé. Mais je veux que mon parcours puisse aider d’autres enseignants confrontés au handicap. Je veux montrer que des alternatives existent. La classe inversée, la pédagogie Freinet, ça marche et ça bénéficie à tout le monde, aux élèves comme aux profs. Si je partage mon expérience, c’est pour aider ceux qui, comme moi, ont dû tout réinventer seuls.
Image d’accueil : Getty
Le SE-FEN aurait pu renseigner correctement la collègue.
Les documentalistes de l’EN sont des professeur-documentalistes qui ont obtenu un CAPES de documentation
Leur circulaire de mission est très claire : ce sont des personnels ENSEIGNANTS.
Il faut certes souvent se battre contre les préjugés et l’immobilisme pour donner des cours d’infodoc mais on y arrive fréquemment en collège.
Cordialement et amèrement.
Bonjour, en tant que professeure-documentaliste, j’ai été très choquée par la lecture de cet article qui prouve encore la méconnaissance totale de notre métier. Que Sophie Defour ait souhaité continuer à enseigner sa discipline d’origine, les lettres modernes, je comprends. Mais là, cela laisse clairement entendre qu’elle aurait dû renoncer à enseigner, ce qui relève de la désinformation. Nous aussi, on enseigne différemment (il n’y a pas que le schéma un prof, une classe, une discipline toute l’année). Forcément, quand déjà on tronque le nom de notre profession en supprimant la première partie, cela ne peut que renforcer les préjugés. Se battre parfois pour se faire reconnaître par les élèves, les parents, c’est déjà difficile, mais au sein de l’Education nationale, c’est insupportable. Je rejoins le commentaire précédent et vous renvoie vers notre circulaire de mission.
Cordialement et amèrement.
Je trouve aberrant qu’on ne propose toujours pas de formation pour apprendre le placement de la voix. Prof c’est comme chanteur, on sollicite énormément les cordes vocales, c’est notre instrument de travail et pourtant aucune sensibilisation n’est faite. Il faut aussi apprendre à chauffer la voix sans se faire mal tous les matins avant de commencer à enseigner.