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Pouvez-vous vous présenter ?
Je suis enseignant d’histoire-géographie au lycée international Charles de Gaulle de Dijon. Je suis également formateur académique et j’interviens en milieu pénitentiaire.
Comment est née l’idée de ce livre ?
Lorsque ChatGPT a été mis en ligne en novembre 2022, j’ai tout de suite compris que cela allait bouleverser les pratiques des enseignants et la manière dont les élèves travaillent. J’en ai parlé avec mes lycéens et nous avons découvert et testé ensemble cet outil.
Ayant une appétence particulière pour le numérique éducatif, j’ai exploré ce que la recherche anglo-saxonne proposait sur le sujet. Après avoir animé plusieurs dizaines de formations pour les enseignants, l’idée d’un livre s’est imposée avec mon éditrice afin de répondre à une demande grandissante.
L’IA suscite l’intérêt mais inquiète aussi. En quoi peut-elle servir les enseignants ?
L’inquiétude est légitime, notamment sur les questions environnementales ou d’esprit critique. Mais lorsqu’on passe du stade de l’observation à l’expérimentation, on réalise rapidement son potentiel.
L’IA peut être un assistant pédagogique efficace : elle aide à co-construire des situations d’apprentissage, à générer des fiches d’activités et d’évaluations, et surtout, elle facilite la différenciation pédagogique en s’adaptant aux besoins spécifiques des élèves.
Justement, comment l’IA peut-elle les aider à gérer l’hétérogénéité de leur classe ?
L’un des défis majeurs pour les enseignants est l’adaptation des consignes aux élèves en difficulté. L’IA peut être d’une grande aide, notamment pour reformuler les consignes en fonction des besoins spécifiques.
Par exemple, les enseignants doivent régulièrement adapter leurs supports pour des élèves bénéficiant de dispositifs comme les PAI (projet d’accueil individualisé, Ndlr) ou les PAP (plan d’accompagnement spécialisé, Ndlr) (troubles dys, difficultés de compréhension…).
L’IA excelle dans cette tâche : elle peut reformuler un texte en langage FALC (Facile à Lire et à Comprendre), permettant ainsi de proposer rapidement des supports adaptés, sans alourdir la charge de travail des enseignants.
Dans votre ouvrage, vous expliquez que l’IA peut aussi permettre de créer des activités d’apprentissage ludiques. Pouvez-vous en donner un exemple ?
L’une des activités les plus appréciées par les enseignants que je forme est la création d’un Qui est-ce ? pédagogique. Cette modalité ludique est utilisée en histoire, en littérature ou en philosophie pour réviser les caractéristiques d’acteurs-clés.
Le principe : les élèves doivent poser des questions auxquelles on ne peut répondre que par oui ou non, afin d’identifier progressivement un personnage. Ce jeu repose sur une approche déductive et oblige les élèves à maîtriser les caractéristiques des figures étudiées.
Cependant, concevoir un Qui est-ce ? de A à Z demande du temps : il faut rédiger des biographies, créer des cartes et organiser le jeu. L’IA peut alléger cette tâche en générant immédiatement une liste de personnages et leurs caractéristiques, permettant de lancer l’activité en quelques minutes. Le prompt que je propose dans l’ouvrage transforme l’IA en maître du jeu, rendant l’expérience fluide et interactive.
L’IA n’est pas infaillible. Sa base de données peut comporter des erreurs trouvées sur le net. Comment maîtrisez-vous ce risque ?
En l’utilisant en classe avec les élèves, afin de contribuer à développer leur esprit critique.
Lors de l’arrivée de Wikipedia déjà, beaucoup d’enseignants interdisaient à leurs élèves de l’utiliser, en vain. Plutôt que d’interdire, je préfère montrer aux élèves les limites afin de les responsabiliser. En tant que contributeur, j’ai souvent modifié sous leurs yeux une fiche peu consultée en y insérant volontairement des erreurs. Ils réalisaient alors que des informations incorrectes pouvaient rester en ligne pendant un certain temps.
Le même raisonnement s’applique aux IA génératives. Dire aux élèves de ne pas l’utiliser est illusoire. En revanche, l’utiliser avec eux permet d’analyser ses limites et d’identifier ses biais. Tomber ensemble sur une erreur ou une hallucination est une opportunité pédagogique : cela leur apprend à croiser leurs sources et à ne jamais prendre un contenu généré pour argent comptant.
L’utilisation des IA génératives avec les élèves peut faire peur. Que répondez-vous ?
L’objectif n’est pas de mettre ces outils entre toutes les mains, mais d’accompagner leur usage de manière éclairée.
La ministre de l’Éducation nationale a rappelé que 90 % des élèves utilisent déjà l’IA. Face à ce constat, notre rôle est de leur apprendre à s’en servir intelligemment, à développer une culture de l’IA et à savoir quand il est pertinent de l’utiliser ou non. C’est une démarche essentielle pour ne pas subir ces technologies, mais les maîtriser.
Quid de la triche facilitée par ces IA ?
L’IA remet en question la notion même de triche. En classe, rien ne change : les règles des examens et devoirs surveillés restent les mêmes. Mais à la maison, elle met en lumière une réalité souvent ignorée : l’inégalité d’accès à l’aide aux devoirs.
Jusqu’ici, personne ne trouvait problématique qu’un parent ou un professeur particulier aide un élève. Aujourd’hui, parce que cette assistance devient accessible à tous, cela dérange. Cette prise de conscience doit nous amener à repenser les devoirs à la maison. Il ne s’agit pas de les supprimer, mais de proposer des tâches qui favorisent l’autonomie et la réflexion critique, plutôt que des exercices reproductibles par une IA.
Ces évolutions amènent un changement dans la profession. Que reste-t-il à l’enseignant ?
Tout ! Ou du moins l’essentiel.
L’IA ne nous remplace pas, elle nous pousse à faire évoluer nos pratiques. Les enseignants ont toujours dû s’adapter : les livres, la calculatrice, la radio, Internet, Wikipedia, les smartphones… À chaque nouvelle technologie, nous avons dû repenser notre pédagogie.
Aujourd’hui, l’IA accélère une tendance déjà en cours : l’équilibre entre connaissances et compétences se déplace. On ne demande plus aux élèves de réciter mécaniquement des dates ou des formules, mais de comprendre comment les mobiliser dans un contexte donné.
L’enseignant conserve un rôle clé : accompagner les élèves dans la construction du sens, les aider à structurer leur pensée, exercer leur esprit critique. En réalité, l’IA ne fait que renforcer l’importance de notre mission.
Image d’accueil : Getty
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