
Les avancées en neurosciences ont considérablement enrichi notre compréhension des mécanismes d’apprentissage. Pourtant, ces connaissances restent encore peu intégrées à la formation des enseignants. Face à ce constat, Céline Véga-Roïatti, maîtresse de conférences en neurosciences et directrice adjointe de la Maison pour la science en Aquitaine, a conçu un Diplôme Universitaire (DU) dédié aux neurosciences appliquées à l’éducation.
L’objectif ? Offrir aux enseignants et aux personnels éducatifs une meilleure compréhension du fonctionnement cérébral pour enrichir leurs pratiques pédagogiques et répondre aux défis du terrain, notamment face aux élèves à besoins spécifiques.
Comment est née l’idée de créer ce Diplôme Universitaire en neurosciences appliquées à l’éducation ?
Tout est parti de mon arrivée à la Maison pour la science en Aquitaine, en 2022. Jusqu’alors, je travaillais dans un laboratoire de recherche en neurosciences à l’université de Bordeaux. En prenant la direction adjointe de cette structure, j’ai découvert un nouveau public pour moi : les enseignants. A leur côté, je me suis rendue compte qu’ils avaient un réel besoin d’amélioration et d’enrichissement de leurs pratiques, mais également une volonté d’acquérir une connaissance plus avancée dans les domaines des neurosciences cognitives. Une autre demande récurrente consistait à accéder aux nouvelles connaissances en neurosciences cognitives pour comprendre les troubles de l’apprentissage ou les troubles neurodéveloppementaux des élèves dits à « besoins spécifiques ».
Le constat était clair : ces enseignants, qu’ils soient en primaire, au collège ou au lycée, faisaient face à des défis croissants. Les classes étaient de plus en plus hétérogènes, avec un nombre grandissant d’élèves présentant des troubles neurodéveloppementaux. Or, leur formation initiale ne leur avait apporté que peu de réponses sur ces questions. Certains me confiaient se retrouver, dès la rentrée scolaire, avec des bilans d’orthophonistes en main, sans toujours comprendre comment adapter leur pédagogie aux besoins spécifiques des élèves. D’autres cherchaient eux-mêmes des ressources, sans savoir démêler le vrai du faux. Tous partageaient une même demande : mieux comprendre et identifier les besoins de ces élèves pour mettre en œuvre des stratégies pédagogiques adéquates.
Les formations en neurosciences proposées jusqu’ici par la Maison pour la science en Aquitaine répondaient partiellement à cette attente. De mon point de vue, il fallait aller plus loin. L’idée d’une formation plus approfondie s’est imposée peu à peu, le projet que j’ai présenté au rectorat de l’académie de Bordeaux a séduit, et c’est face à cet enthousiasme que le contour du DU a été dessiné. Après plusieurs réunions et ajustements, le projet a ensuite été validé par l’université de Bordeaux et la Fondation La main à la pâte, donnant naissance à un programme unique sur le territoire. Le DU est ouvert non seulement aux enseignants de sciences, mais aussi aux enseignants de toutes disciplines, aux infirmiers et psychologues scolaires, aux conseillers pédagogiques et aux personnels de direction, aux formateurs d’enseignants, mais également à tout public à partir d’un bac+3 qui s’intéresse à l’éducation. Cette dimension pluridisciplinaire est essentielle : la neuroéducation concerne bien au-delà des seuls cours de sciences.
Quels sont les objectifs de cette formation ?
L’idée n’est pas de révolutionner les pratiques pédagogiques, ni de dire aux enseignants que ce qu’ils font est inefficace. Au contraire, ce DU a été conçu pour leur apporter des connaissances supplémentaires qui pourront enrichir leur approche. Nous abordons des notions fondamentales sur le fonctionnement du cerveau en tant qu’objet biologique, avant de se diriger vers les neurosciences cognitives, pour aborder notamment la mémoire, l’attention et la motivation, qui sont au cœur des apprentissages. Nous parlons également des contraintes biologiques qui influencent ces processus, et de la manière dont elles peuvent être prises en compte dans un cadre pédagogique.
Nous intégrons dans la formation une approche interdisciplinaire avec les neurosciences, la psychologie cognitive et la pédagogie pour une application pertinente des connaissances scientifiques en éducation. Ce croisement de regards vient du fait que l’apprentissage et le développement humain sont le résultat de l’interaction entre le cerveau et le milieu socioculturel. Parce que le cerveau est biologique, social et culturel.
Mais au-delà du simple apport de connaissances, ce DU a aussi pour vocation de former à la démarche scientifique elle-même. Les enseignants sont confrontés à une masse d’informations, parfois contradictoires, sur la pédagogie et le cerveau. Il était donc fondamental de leur fournir des outils pour évaluer la validité des études et détecter les neuromythes pour les « déconstruire ». On entend encore trop souvent que l’on n’utiliserait que 10 % de notre cerveau ou que certains élèves seraient exclusivement « visuels », « auditifs » ou « kinesthésiques », alors que ces idées ont été largement réfutées par la recherche. En expérimentant la méthodologie scientifique, les stagiaires développent un regard critique sur ces questions. L’objectif final est de créer un pont entre la théorie neuroscientifique et la pratique pédagogique.
Comment se déroule concrètement la formation ?
La Maison pour la science en Aquitaine présente sur le campus Sciences et Technologies de l’université de Bordeaux conçoit et propose des offres innovantes de développement professionnel qui sont destinées aux enseignants de premier et second degrés. Ce temps de formation, ou d’actualisation des connaissances en sciences et technologies, est pris sur les heures de formation continue des enseignants puisque ses actions sont inscrites aux plans académiques et départementaux de formation. Cette « maison » n’est pas isolée car elle fait partie d’un réseau national de 13 Maisons pour la Science qui oeuvrent sous l’égide de la Fondation la main à la pâte depuis 2012.
Le DU Neuroéducation s’étend sur deux ans et propose 165 heures d’enseignement, un volume conséquent qui permet une approche approfondie des neurosciences appliquées à l’éducation. Une grande partie des sessions se déroule en présentiel (60%), avec des conférences animées par des spécialistes de différents domaines : des neuroscientifiques bien sûr, mais aussi des psychologues, des neuropsychologues, des professionnels en sciences de l’éducation et des médecins experts du sommeil ou des addictions. Cela correspond à environ 2 jours de cours en présentiel tous les 2 mois et à une vingtaine de conférenciers.
Les stagiaires ne se contentent pas d’assister à des cours magistraux. Nous avons tenu à intégrer de nombreuses mises en situation et expérimentations. Par exemple, ils passent une journée à « l’École des neurosciences » de Bordeaux, où ils mesurent l’activité d’un neurone en direct grâce à une microélectrode, expérimentent comment on peut étudier les phénomènes mnésiques ou anxieux en laboratoire et entrent dans le monde de l’infiniment petit grâce à ce qui existe de mieux en technologie au « Bordeaux Imaging Center ». Ils visitent aussi un laboratoire qui étudie le sommeil au CHU et un laboratoire qui travaille spécifiquement en imagerie cérébrale. Cette approche immersive permet de rendre plus concrets des concepts qui peuvent sembler abstraits sur le papier, elle permet aussi d’expérimenter, de manipuler, des concepts complexes.
Une autre spécificité du DU est la mise en place d’un projet expérimental en classe. Chaque participant doit concevoir et mener une étude sur une question pédagogique précise. L’objectif est de tester, de manière rigoureuse en utilisant la démarche scientifique, l’impact d’une méthode d’enseignement ou d’un aménagement pédagogique. Un enseignant peut, par exemple, comparer la restitution d’un cours donné en une seule séance de 30 minutes avec le même cours fractionné en plusieurs sessions de 10 minutes. L’analyse des résultats, encadrée par un tuteur scientifique, permet d’ancrer la réflexion dans des données concrètes.
À la fin des deux ans, les stagiaires rédigent un mémoire et présentent leurs résultats lors d’une soutenance devant toute leur promotion. Ce partage d’expériences est un moment clé du DU, car il permet à chacun d’apprendre des recherches menées par ses collègues.
Qui peut candidater et comment se passe la sélection ?
Le DU est ouvert à toute personne ayant un bac +3. Pour cette première promotion, et celles à venir, nous limitons le nombre de places à trente, afin de garantir un accompagnement de qualité et une organisation optimale des travaux pratiques. Pour la première promotion, le rectorat de l’académie de Bordeaux a réservé vingt-quatre de ces places pour ses agents, et les six restantes ont été ouvertes à candidature libre.
L’an dernier, nous avons été surpris par l’ampleur de la demande : 238 candidatures ont été déposées pour ces trente places. Pour la prochaine promotion qui commencera en octobre 2025, les conditions et dates d’ouverture des candidatures vont être très prochainement fixées. Chaque semaine, je reçois déjà des demandes par courriel.
Quels sont les premiers retours des stagiaires ?
Les 30 premiers stagiaires se montrent très motivés, ils veulent tout comprendre et posent beaucoup de questions. L’esprit de promotion est très présent, ils ont tous partagé leur numéro de portable pour créer un groupe et échanger des informations entre eux. Les retours sont vraiment très positifs. Après chaque session, nous faisons passer un questionnaire d’évaluation anonyme, et le rectorat envoie également un questionnaire aux enseignants ayant suivi la formation. Grâce à ces retours, nous avons déjà apporté quelques ajustements.
Par exemple, nous insistons désormais auprès des conférenciers pour la mise à disposition des supports de cours avant les conférences. Cela leur permet de le consulter en amont et d’avoir le support pour les prises de notes. Une autre demande des enseignants concernait la création de quiz. Certains nous ont expliqué qu’ils utilisent régulièrement des quiz avec leurs élèves pour vérifier leur compréhension et qu’ils aimeraient avoir le même outil dans le cadre du DU pour savoir quels points nécessitent une attention particulière et tester leur niveau de compréhension.
Nous avons donc créé des « neuroquiz » sur l’espace numérique de l’université de Bordeaux qui portent sur les cours déjà suivis et leur permettent de réviser les notions essentielles. Nous y ajoutons également des illustrations lorsque certaines notions paraissent difficiles à intégrer. Tous ces ajustements ont été mis en place depuis le mois d’octobre afin d’améliorer la formation et de la rendre plus confortable pour tous. Certains stagiaires n’hésitent pas à remercier l’équipe pédagogique par un petit courriel entre les questionnaires d’évaluation. C’est très agréable d’évoluer et de s’améliorer à leur contact.
Ce DU a-t-il vocation à se pérenniser ?
Dans le cadre de l’université de Bordeaux, c’est en effet l’objectif et nous accueillerons désormais une nouvelle promotion tous les ans. J’espère que cela donnera des idées à d’autres universités pour qu’elles puissent mettre en place ce type de formation. L’objectif est de répondre aux questions des enseignants, mais aussi à celles des parents parce que les parents se tournent vers les enseignants pour obtenir des réponses, et ces derniers, à leur tour, se tournent vers nous. Finalement, cette formation, à destination des enseignants, se fait dans l’intérêt des enfants.
J’espère donc que cela impulsera une prise de conscience, que l’on se dira : « Oui, cela fonctionne bien à Bordeaux, les enseignants sont très demandeurs, et nous aussi, nous pourrions participer à l’enrichissement des pratiques pédagogiques dans notre académie. »
Pour toute information, vous pouvez envoyer un courriel à du.neuroeducation@u-bordeaux.fr
Bonjour. Je suis hyper intéressée par ce genre d’études pour parfaire ma pratique. Malheureusement j’habite dans le Nord… Existe t’il ce genre de formation en distanciel ?
Merci de votre réponse.