Photo : Sébastien Bravard

Pour la première pièce qu’il a écrite seul, Sébastien Barvard a opté pour un seul en scène dans lequel il revient sur ses débuts, récents, dans le monde de l’enseignement. La pièce est jouée au théâtre de Belleville à Paris jusqu’à fin mars et le 6 mai prochain à Charleville-Mezières.

Pourquoi avoir choisi de vous lancer dans l’enseignement ?

Après les attentats de 2015, qui nous ont tous touchés de plus ou moins près, j’ai eu un désir très fort d’aller voir ce qui se passait dans les écoles. Le rôle du système éducatif était au centre du débat à l’époque, car les auteurs des attentats étaient passés par l’école de la République. J’ai donc voulu comprendre, et être utile. J’étais en tournée à cette époque, et j’avais donc du temps pendant mes journées. Je me suis remis au français, aux maths… et j’ai décidé de préparer le concours de professeur des écoles. J’ai fait mon entrée dans une école à Villejuif en 2017.

Ce sont deux “métiers-passions.” Ce n’est pas trop dur à concilier ?

Le rêve pour moi c’est de trouver l’équilibre entre les deux. Je ne me voyais pas arrêter mon métier d’acteur, et en même temps j’avais envie de découvrir autre chose. Ma formation théâtrale m’a d’ailleurs aidé sur plusieurs points : parler fort, faire des gestes, se positionner dans l’espace, travailler la “scénographie” (ou disposition) de la salle… Physiquement, l’énergie que demandent la salle de classe et le plateau de théâtre sont assez similaires.

L’un de mes formateurs enseignant, qui ne savait pas que j’étais comédien, m’avait justement dit “On est des acteurs, nous.

Comment avez-vous eu l’idée de raconter votre expérience de jeune professeur au théâtre ?

Les premiers mois à l’école, j’étais submergé, j’avais l’impression d’avoir la tête sous l’eau, ou que quelque chose débordait. Pendant les vacances de la Toussaint, je suis parti en répétitions, et j’ai commencé à prendre des notes. L’écriture m’a permis de prendre un peu de recul sur ce que j’étais en train de vivre. Petit à petit, c’est devenu comme un journal.

Assez vite s’est dessinée l’idée d’une pièce dont la temporalité correspondrait à une année scolaire, de la rentrée jusqu’au jour des vacances. Cela permettait notamment de montrer comment le temps construit des choses au sein de la classe.

Le choix d’un seul en scène s’est-il fait facilement ?

C’était un choix assez évident, car l’idée n’était pas de représenter la vie de la classe, mais d’en livrer un témoignage sensible, comme des impressions vécues. Je ne voyais pas des comédiens incarner les élèves, j’ai plutôt voulu faire apparaître des petites figures, qui ensuite disparaissent. De même, pour l’écriture, je me suis servi de petites anecdotes, mais sans en surcharger le texte. Avec ces éléments, et la mise en scène de Clément Poirée, s’est imposé un rapport au public assez proche : la salle reste éclairée pendant une partie du spectacle, je vois beaucoup les gens, je m’adresse à eux par moments. Cela crée une interaction forte avec les spectateurs, et leur permet de retrouver des souvenirs d’école – qu’on a tous.

Dans la pièce, vous abordez la question du sens derrière vos deux métiers…

J’ai cette envie de donner du sens aux spectacles que je joue, de défendre sur scène des textes qui me parlent. En classe, je cherche aussi à donner du sens aux enseignements. Bien sûr, à l’école, il y a un programme à respecter ; mais à l’intérieur de tout ça, on peut trouver des choses qui éveillent la curiosité des élèves, qui ouvrent les sens, qui posent des questions. Réussir à questionner, c’est le sens que je donne à ce que je fais.

Quels parallèles faites-vous entre les deux ?

Le lien qui me paraît le plus important entre le théâtre et l’enseignement, c’est l’idée de construction collective. Au théâtre, on travaille à construire un spectacle ensemble : avec la musique, la lumière, la régie, la mise en scène…

À l’école, il y a la construction du citoyen, mais il y a aussi la construction des identités. Chaque personnalité amène quelque chose pour construire une vie de classe sur un an : on passe beaucoup de temps ensemble, il y a une évolution qui se fait, chacun trouve sa place petit à petit. Une salle de classe est un peu une micro-société, avec des individus très différents qui apprennent à vivre ensemble – à travers les apprentissages, la connaissance, la découverte d’œuvres littéraires…

Est-ce que vous avez fait faire du théâtre à vos élèves ?

Oui, un petit peu : quelques séances, des petits exercices sur le corps… On a aussi travaillé sur la lecture et sur le jeu, en réalisant tous ensemble un enregistrement d’un texte de Marie NDiaye (avec une lecture à plusieurs voix et un habillage sonore). Je trouvais important d’amener mon univers théâtral dans la classe et de faire découvrir à mes élèves des auteurs et autrices que j’apprécie : Suzanne Lebeau, Marie NDiaye, Luis Sepúlveda… Ce sont autant de portes qui s’ouvrent pour eux.

L’école est-il un sujet qui parle facilement au public ?

Élémentaire n’est pas un spectacle sur la pédagogie, c’est un ressenti. Le spectacle veut transmettre des émotions liées à cette vie particulière. Il y a des soirs où je sens qu’il y a des enseignants, car il y a des moments précis où ça réagit dans le public. Et j’ai eu des retours d’enseignants, par exemple un monsieur qui m’a attendu à la fin de la représentation, et qui était très ému car il avait enseigné toute sa vie et avait un peu “revécu” ses débuts avec la pièce.

Mais l’enseignement est aussi un thème large, qui parle à beaucoup de monde : on a tous un lien avec l’école, nos souvenirs d’enfants, une implication en tant que parents…

Un conseil aux jeunes enseignants ?

Je crois qu’il faut faire avec ce qu’on est. Ça a été très important pour moi d’amener qui j’étais, et je pense que c’est vrai pour tous les enseignants. Nos univers propres peuvent interpeller les élèves, les toucher. Par exemple, quand j’allais voir une exposition le week-end, on en parlait en classe, on regardait les œuvres, ça rendait les choses très concrètes et ça leur ouvrait des perspectives.

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